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Juger, imposer sa vérité

À la base, j’avais écrit un article en 2008, puis deux articles à ce sujet en 2014, avec des rajouts en 2016. Là, c’est une refonte complète du tout made in 2022. Il s’agit donc vraiment d’un nouvel article, pas d’une simple republication. Aaaaah la la, juger, juger… Un verbe simple, mais au sens complexe.

Il y a toujours ce débat clivant autour de deux grandes problématiques, que je vais exposer ici :

– Juger ce que l’on ne connaît pas ou peu.

– La différence entre aimer/ne pas aimer quelque chose et juger sa valeur en érigeant son opinion au rang de vérité générale.

Elles se rejoignent souvent, même si j’opère une distinction ici, en essayant de ne pas partir dans tous les sens.

Eh oui, nous sommes en 2022, et beaucoup de personnes ne comprennent toujours pas que juger quelque chose que l’on ne connaît pas ou peu, c’est irrespectueux, pas très intelligent, et cela fait montre d’un sacré manque de savoir-vivre. Bon, depuis tout à l’heure, j’utilise le verbe « juger », mais remettons en premier lieu sa définition, du moins celle qui conviendrait ici : Penser, estimer, avoir tel avis sur quelque chose, voire prendre position sur quelque chose.

Juger quelque chose que l’on ne connaît pas ou peu, c’est en plus faire preuve d’orgueil et ne pas admettre notre ignorance. Pas très joli tout cela, non ? Pourtant, tous les jours, dans des situations tout à fait ordinaires, nous nous prenons l’opinion des autres en pleine gueule, ou alors nous donnons la nôtre quand nous faisons partie du problème.

Je ne vais pas vous faire l’affront de faire une liste non exhaustive indigeste, si ? Alors c’est parti, on adore ramener sa fraise, aka juger, sur :

– Les personnes perçues comme femmes qui ne veulent pas d’enfants/ qui ont plus que deux enfants

– La façon de s’habiller (les personnes perçues comme femmes le plus souvent)

– La façon d’éduquer les enfants

– Ce qu’on mange/boit

– Comment on gère notre argent, notre vie

– Les personnes malades (physique ou mental)

– Les artistes, auteurices, etc.

– Les personnes au chômage/au RSA

BON, on va s’arrêter là en fait, parce que vous avez saisi l’idée. Je vais redire une règle de base : quand on ne sait pas, on ferme sa gueule.

Alors attention, je ne parle pas du fait de s’indigner sur quelque chose de choquant. Qu’importe si on sait peu de choses sur la personne qui a fait ou dit quelque chose d’offensant, de problématique, il est sain de s’insurger. On s’est trop tu.e.s sur les injustices. Par contre, je le dis et redis, et tant pis pour qui ça déplaît : je ne cautionne pas le harcèlement. Je le condamne partout, pour tout. S’indigner, oui, envoyer tout le monde harceler une personne, non. À la limite, juger sans se renseigner est moins grave…

En fait, je condamne pour une raison simple : quand il s’agit d’une célébrité, d’une personnalité politique, célèbre, qui a les moyens de se défendre, bah bizarrement, y a plus personne pour faire justice. Et moi, ça me contrarie fortement. C’est toujours plus facile de s’en prendre aux gens qui ne sont pas aussi bien entourés, fussent-ils problématiques ou non.

Les personnes qui grinceraient des dents face à mes mots, qui penseraient que je suis dans l’idée que la cancel culture fait du mal aux innocents… Euh, alors, pas du tout. Absolument pas. C’est non, non et non. Justement, je dis que la cancel culture ne sanctionne pas les bonnes personnes. Je parle des personnalités célèbres/politiques, qui sont de véritables ordures et dont la carrière n’est jamais vraiment sanctionnée.

Au pire, si vous voulez en discuter pour bien éclaircir mes propos, ma porte est ouverte.

Ah, je suis assez sensible sur le sujet, puisque je n’aime pas qu’on juge les choses qu’on ne connaît pas. Je vous rappelle que j’ai le TAS – pour rappel : trouble de l’anxiété sociale. Ça m’a conduite pendant longtemps à essayer de contrôler mon image le plus possible. J’ai essayé d’être une petite souris qui essaie de se cacher – sans succès – et à me suradapter partout. Bref.

Les seules fois où j’ai pu me laisser aller, j’avais encore plus de jugements gratuits de la part des autres : tu es immature, tu veux faire ton intéressante, et nianiania… Cela fait depuis plusieurs années où j’essaie de déconstruire et de dépatouiller tout ça, pas simple face à autrui.

Alors attention, je n’échappe pas à la règle : moi aussi je me suis montrée idiote. Moi aussi j’ai parfois dit ou pensé des choses alors que je n’y connaissais rien. Après, j’ai évolué depuis – enfin, j’espère ^^’. Je fais de mon mieux pour ne pas tomber là-dedans. Sinon, ça arrive souvent que l’on me demande ce que je pense de telle chose. On ne comprend pas que je réponde parfois : « Je ne sais pas, je ne connais pas ». On prend ça pour de l’hypocrisie ou de la mauvaise volonté. C’est n’importe quoi, je ne vois pas le rapport. Si j’en viens à donner mon opinion, ce qui est très rare, donc juger quelque chose que je ne connais pas, je me sens mal à l’aise.

Je vais nuancer et plutôt dire : « Écoute, je n’ai pas envie d’essayer ceci/ de connaître cela/ etc., ça ne me dit pas. » Mon gros problème, et ça ne change pas non plus au fil des ans, c’est que je suis une personne hyperémotive. L’injustice, je n’aime pas du tout, je réagis très mal… Quand on me fait un reproche justifié, bon, je ne réagis pas toujours « bien », mais je vais surtout culpabiliser sur mon comportement. Par contre, quand on me reproche quelque chose qui est faux ou injuste, non seulement je me sens révoltée, mais en plus, je culpabilise quand même, alors que je ne devrais pas. Je tente de me soigner, hein, mais franchement, c’est dur. Pas pour rien que l’on m’a doté du surnom « Désoline » pour rire sur Twitter, parce que je m’excuse tout le temps, pour rien parfois, haha !

Il en est de même pour le fait que ce n’est pas parce que j’aime/n’aime pas quelque chose que c’est de la bombe/de la merde. Je me suis clashée avec quelqu’un que je considérais comme mon frère de cœur, en 2012. Selon lui, j’ai réagi de manière trop personnelle à des propos qu’il avait tenus : les auteurs de fantasy, ce sont des tricheurs qui écrivent de la m* commerciale. Je vous le ressors grossièrement, mais voilà. Je me suis laissée emporter et j’ai lâché des propos qu’il a déformés malgré des explications de ma part.

Il est difficile de répondre à ce type de réactions sans tomber à notre tour dans l’opinion gratuite. C’est tentant, et je serais bien une menteuse de proclamer que ça ne m’arrive pas même si je fais tout pour l’éviter, encore une fois. La perfection n’est pas de ce monde – je vais finir par ériger cette phrase comme mantra.

En revanche, et ça ne change pas malgré les années qui passent, s’il y a bien quelque chose d’ancré en moi et d’intangible, c’est le respect. Non, on ne fait pas ce que l’on veut au nom de la liberté. Être respectueux des autres, cela ne signifie pas être hypocrite ! Oh zut, je déborde, mais dans le fond, les réactions dont je parlais précédemment rejoignent ces notions sur le fond.

Un exemple très concret : je n’aime pas le rap. C’est comme ça, j’ai essayé, j’ai baigné dedans malgré moi, mais je n’aime pas. Pour autant, je ne vais pas m’amuser à aller sur des blogs de rap et incendier et insulter les auteurs ! Et qui suis-je pour décréter que c’est de la merde ? En creusant le sujet, en me documentant, je peux dire que le rap a autant ses lettres de noblesse que les autres genres musicaux. Comme partout, il y a des œuvres qui sont jugées unanimement pas terribles, d’autres comme des chefs d’œuvre. Et puis il y a les goûts et les couleurs. Je souligne des évidences, certes, mais quand je vois comment se comportent certaines personnes…

Récemment, une hot take, que vous n’avez pas pu rater si vous êtes sur Twitter, a éclaté : si l’on utilise le présent de narration, selon un auteur très célèbre et talentueux, nous abandonnerions notre responsabilité narrative. Alors, j’ai lu après un article datant de 2010 dans lequel il explique ses propos, son ressenti. Je les entends bien, je comprends ses arguments. Après, c’est son opinion. Ériger ça au rang de vérité générale, non. C’est malheureusement le ressenti que beaucoup d’entre nous avons eu à son égard.

J’ai été déçue qu’une personne aussi intelligente et dont les écrits m’ont fait rêver puisse se montrer aussi vindicative et soit autant fermée d’esprit.

En littérature, il y a des choses que je n’aime pas, comme tout le monde. Par exemple, j’ai du mal avec les textes où il y a peu de descriptions. Je ne vais pas aller dire que les auteurices sont des fainéants. C’est un choix de narration comme un autre. Nous avons tout.e.s nos préférences et nos rejets.

Un bon livre ne se résume pas à savoir appliquer les techniques qui en feront un bestseller. Un bon livre est celui où selon ce qu’il raconte, il y aura les choix narratifs les plus adaptés. Pour mon projet Evana, la narration est au présent en grande majorité, à la troisième personne du singulier, avec un point de vue interne. Comme c’est en trois parties, les trois prologues sont écrits à la deuxième personne du singulier, au présent avec certains passages à l’imparfait/passé simple parce qu’il y avait des retours en arrière, et un point de vue omniscient. Les trois épilogues sont des pantoums, et les deux premiers vers se retrouvaient dispatchés dans le chapitre 1 en italiques, les deux vers suivants dans le chapitre 2…

Le projet s’est construit comme ça. C’est sous cette forme qu’il est le plus abouti. Je n’allais pas l’amuser à tout passer au passé simple/imparfait juste parce que « c’est la règle ». Le récit aurait perdu de son impact, de sa puissance. À l’inverse, écrire Un pétale par sourire au présent et à la première personne du singulier lui aurait fait perdre de sa substance. Je n’aurais pas pu aborder certaines choses comme je le voulais.

De toute façon, c’est un débat récurrent. Alors oui, je suis saoulée qu’en 2022, on pense encore que « j’aime pas = c’est de la merde et ma vérité est générale » ou « j’adore = c’est un chef d’œuvre et ma vérité est générale ». Après, il faut en parler.

Je conclus cet article en vous exhortant à prendre du recul sur ce que vous voyez/lisez/entendez. Essayez aussi de cerner votre rapport par rapport aux dramas sur les réseaux sociaux… Quoi que vous en disiez, vous y participez, surtout quand quelque chose vous indigne. Alors s’indigner, oui, mais pas n’importe comment.

Ce constat, je me l’applique à moi-même.

Cet article a 8 commentaires

  1. D’accord avec toi sur le sujet.

    Pour simplifier avec les enfants, je leur dis assez souvent « tu as le droit de ne pas aimer, mais pas de dire c’est nul sans savoir » ça marche pour plein de domaines : culture, nourriture…

    1. Justine_CM

      Et ça marche aussi pour les adultes, mais beaucoup l’oublient, malheureusement…

  2. Nexua Tatouine

    Je n’ai pas lu ce truc sur Twitter ! :O bon sang on utilise le temps qu’on veut ! Oh oui je me jette la pierre pour les jugements, j’ai tendance à juger trop vite, et après je m’en veux u__u. Très bon article ♥

    1. Justine_CM

      Je t’enverrai le truc si je le retrouve !
      Y a des moments, moi aussi, rassure-toi ^^. Le tout est d’en prendre conscience… ♥

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