You are currently viewing La dark romance : ce n’est pas ce que vous croyez

La dark romance : ce n’est pas ce que vous croyez

TW de tous les tropes touchant à la dark romance : violences psychologiques, sexuelles, physiques, inceste, manipulation, relations d’emprise, etc. + mention de pédophilie, pédopornographie, cannibalisme… Bref, vous voyez.

Ce fut l’article le plus difficile à rédiger pour moi. Il faut dire aussi que le sujet est chaud-bouillant, sans mauvais jeux de mots…

En premier lieu : je fais partie des personnes qui sont inquiètes de la manière dont ce sous-genre – dans le sens catégorie d’un genre plus généraliste, ne vous énervez pas – évolue aujourd’hui. D’ailleurs, ce sous-genre a donné naissance à un autre sous-genre, peu encore populaire en France : la « killer romance ». Ce serait de la dark romance, avec de l’humour noir… et le plus souvent avec des tueurs en série. Je suis pantoise, et je suis d’avis que l’on peut écrire de tout, mais pas n’importe comment.

Je suis pour la liberté d’expression et dans l’art. En revanche, je pense que la liberté des unæs s’arrête là où commence celle des autres. Je pense également que la dark romance souffre d’une mauvaise utilisation, surtout quand on cherche à le décliner en diverses branches pour aller toujours plus loin dans le glauque. C’est ce dont nous allons parler.

J’aborderai de manière plus large dans un autre article le fait que le genre d’un livre (horreur, thriller, dark romance…) et les TW ne permettent pas d’écrire pour autant n’importe quoi et n’excusent pas les propos problématiques banalisés.

J’ai fait appel à plusieurs personnes pour répondre à mes questions. Certaines aiment la dark romance, d’autres en écrivent, d’autres détestent, d’autres encore sont indifférentes… Je me suis efforcée de couvrir un peu tous les horizons.

Il faut également savoir que la plupart des problématiques propres à la dark romance se retrouvent aussi dans la romantasy. Je ne vais pour autant pas écrire un article spécifiquement sur la romantasy au risque de me répéter. Julie a, par ailleurs, écrit un article assez consistant sur la Romance, ses-sous-genres et les dangers de la romantisation des VSS, comportements toxiques : Histoires de luttes : dark romance, ou comment la politique influence la littérature.

Il est temps de commencer. Et en premier lieu…

Qu’est-ce que la dark romance ?

Déjà là, gros hic : la définition donnée aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle d’origine. Après moult renseignements, moi-même ai appris des choses surprenantes.

Tout d’abord, la dark romance est un sous-genre de la littérature sentimentale, qui comprend les romances interdites, qui joue avec les limites de ce qui est acceptable. Jusque-là, rien de nouveau, nous sommes plutôt d’accord. Maintenant, que veut dire « romances interdites » ? Ce sont tout simplement les romances qui vont à l’encontre de la morale ou de la loi.

Historiquement, l’émergence de la dark romance est due au fait que certains types de romances ne rentrent pas dans la définition de la romance, assez puritaine et rigide : relation amoureuse qui a une fin heureuse, entre un homme et une femme. Si vous me suivez jusque-là, les romans d’amour avec une fin tragique, ou les romans M&M/F&F, ou de manière générale les romances LGBTQIA+… ne sont pas considérés comme des romances dans le sens classique. Et donc, ce sont des romances interdites… Donc, ces romans pourraient être considérés comme étant des dark romances si l’on suit cette logique.

J’en vois certain·e·s d’entre vous tomber de leur siège. Eh oui : Roméo et Juliette, Tristan et Yseult, pourraient des dark romances si on se réfère au sens premier du terme. Les romances queer aussi, puisque dans de nombreux pays, les relations queer non cisgenres sont illégales.

Bien entendu, nous pouvons classer dans cette définition originelle – et même dans la définition actuelle – les romans érotiques, dont ceux où la perversité est mise en avant. Je parle évidemment des romans du Marquis de Sade, eh oui.

Depuis, la définition de la dark romance a évolué à partir de 2010 – zut, je ne pourrai pas catégoriser Un pétale par sourire comme étant une dark romance, alors qu’elle en a les codes dans le sens premier du terme. Ce qu’il faut comprendre désormais lorsqu’on dit « à l’encontre de la morale ou de la loi », c’est « ouvertement répréhensible ». Qui dit répréhensible dit antagoniste. L’on fait appel au syndrome de Stockholm chez l’héroïne le plus souvent – du coup, question piège : La Belle et la Bête peut-il être classé en dark romance ? Vous avez quatre heures.

50 nuances de Grey, After ouvrent le bal de la dark romance telle qu’elle est connue aujourd’hui. Avant 2010, nous pouvons tout de même citer un roman précurseur : Histoire d’O, de Dominique Aury. Je suis sûre qu’en fouillant un peu, on peut en trouver d’autres qui pourraient être qualifiés de dark romances. Je pense notamment à la saga « Fleurs captives » de Virginia C. Andrews, ou encore « Le loup et la colombe » de Kathleen Woodiwiss. Certains livres Harlequin pourraient aussi être rangés en dark romance, même si l’on qualifie le plus souvent les romans Harlequin d’éculés, un peu mièvres. Pour en avoir lu un paquet lors de mon adolescence, je peux vous dire qu’il y avait pourtant des choses très, très limites, comme des relations conjugales violentes romantisées, des kidnappings, pour ne citer que ces deux tropes.

Bien sûr, tous ces exemples sont pour moi de la dark romance « gentillette ». Depuis, nombre de livres où la dark romance verse dans l’apologie sont sorties. L’ombre d’Adeline en est un exemple assez flagrant, de même que 365 jours. Et c’est là où les choses se corsent.

Dark romance ou roman dark ?

Certaines personnes font une distinction entre la romance « dark », « toxique », et tout ce qui s’ensuit, et une romance qui se passe dans un contexte « dark ». La nuance peut être subtile, mais je crois comprendre où en veulent venir ces personnes.

Plonger dans des mondes difficiles, comme celui de la mafia, des sectes, du monde de la nuit, etc., c’est une composante de plusieurs dark romances. Les relations abusives font également partie des caractéristiques de ce sous-genre. Du moins, tant que ce n’est pas insoutenable, et que ce n’est pas glorifié, ou que ce n’est pas montré comme torride, bandant, ou que sais-je.

Pour autant, il y a la question de la subversion, souvent évoquée comme étant une forme de token d’immunité pour expliquer l’existence de certaines dark romances.

Dark romance ou subversion ?

Qu’est-ce que la subversion ? Selon le Larousse, cela signifie « qui est de nature à troubler ou renverser l’ordre social ou politique », « qui soutient des idées menaçant l’ordre social ». En soit, la subversion se croise dans tous les genres littéraires. Je peux citer « Orange mécanique », « Fahrenheit 451 », « Le meilleur des mondes »… Je considère ces romans comme subversifs, et écrits avec un message fort derrière.

Certaines personnes confondent la subversion avec l’apologie, voire ce que j’appelle tout ce qui est insoutenable (le genre de l’horreur peut recueillir certains thèmes insoutenables, au moins, on sait de quoi il retourne).

Revenons à la dark romance. Ce qui est ouvertement répréhensible signifie-t-il être subversif ?

Une romance basée sur des viols, des tortures, est-ce subversif ? Certes, dans Orange mécanique, il y a des viols par exemple… mais à aucun moment, ce n’est qualifié comme étant de la romance. Vraiment pas. Là où je commence à avoir un problème, c’est quand ce genre de choses est catégorisé comme étant de la romance interdite.

J’ai vu certaines ME qualifier ces thèmes – viols, tortures, cannibalisme, inceste, etc. – comme étant « spicy », torride – oui, oui, vous avez bien lu, et oui, je tacle encore une fois la communication de ces ME à ce sujet.

Cela va plus loin que l’apologie – que je trouve inacceptable déjà –, on tombe dans la glorification et l’insoutenable. Certaines dark romances devraient plutôt être estampillées « horreur ». Oui. Le cannibalisme, ou toute forme extrême de violence, de gore, ne sont pas des romances sombres ! C’est étiqueté en tant que « dark hard », eh bien non, ce n’est pas de la dark romance.

Il y a peu de temps, j’ai également vu passer une sortie annoncée de livre, annulée depuis. Une dark romance problématique et raciste, sans entrer dans les détails. Cela non plus, ce n’est pas possible.

L’on peut écrire des personnages racistes, dans un contexte particulier, pour montrer que cela existe. On peut dénoncer. Mais banaliser le racisme, le rendre « acceptable » par exemple, comme c’est le cas dans certaines dark romances, non.

Une autre sortie de livre, en collector, m’a choquée, de même que d’autres personnes qui l’ont lu pour mieux appréhender le contenu : une dark romance M/M (bon, ça, y a pas de souci), entre deux frères (aïe), dont la relation commence… quand ils sont mineurs (uuuuurg). Ce ne sont pas les seuls problèmes du livre, et je suis estomaquée que personne, lors de sa première sortie, n’ait relevé ces soucis.

J’ai aussi vu passer une sortie de livre en dark romance, toujours avec du M/M. Il s’agit d’une histoire entre un élève (mineur) et son professeur. Comment dire ? Non…

Pourquoi je parle du M/M alors que j’ai dit que ces relations ne me posent aucun problème ? Pour soulever un autre problème, en vérité. Malheureusement, le M/M est souvent écrit par des autrices, et il y a une forme de fétichisation… Enfin, ceci est encore un autre sujet, que j’aborderai peut-être dans un autre article.

Vous voulez écrire sur tous ces thèmes, et pas forcément dénoncer, juste montrer ? Aucun problème, même si je suis d’avis que, pour moi, montrer que cela existe, c’est déjà dénoncer. Après… attention à la banalisation, qui conduit à la minimisation. Je reviendrai sur la banalisation et la dénonciation dans un autre article encore, sinon, on n’a pas fini.

La nature humaine peut être tellement sombre – et je n’emploierai pas de mots comme « les personnages sont tarés/atteints », c’est psychophobe, et je ne veux pas de ça. Bref. Là où je ne peux pas l’accepter, c’est quand il y a une forme de glorification et de banalisation de ces thèmes et que cela s’inscrit dans la dark romance.

La dark romance, cela englobe aussi tout ce qui est BDSM, fétichisme, etc. À ce sujet, tant que c’est bien fait, avec le consentement des personnages, cela me va. Cela a sa place dans la dark romance.

Si le personnage qui subit la relation toxique, les violences, n’est pas consentant, se rebelle et ne finit pas avec son bourreau, je trouve très limite de le qualifier comme étant de la dark romance – personnellement, je catégoriserais ce genre d’histoire comme étant entre l’horreur et le réalisme. J’en reparle plus bas.

Une précision comme quoi c’est également de l’érotisme, voire de la pornographie, est largement souhaitable aussi.

J’ai cité les œuvres du Marquis de Sade plus haut, elles pourraient tout à fait entrer dans la définition de la dark romance actuelle. Bon, ses œuvres mettent en avant le viol, l’inceste, la torture, etc., et il y a encore controverse aujourd’hui si c’est montré, dénoncé ou s’il y a une forme de glorification derrière.

Revenons aux dark romances qui abordent des pratiques illégales. J’ai cité l’inceste (je reviens plus bas sur le côté illégal de ce dernier, car ce n’est pas clair pour tout le monde), le viol ; nous avons pour exemple : la BD de Stéphane Bourgoin, « L’ogre des Ardennes ». Mais il y a aussi… la pédophilie. Les productions pédocriminelles de Vivès l’illustrent – sans mauvais jeu de mots – très bien. On est d’accord que nous ne sommes pas dans des cas où ces pratiques sont juste montrées, dénoncées, mais où l’on tombe dans l’apologie, la glorification. Ne vous en déplaise, certaines dark romances entrent dans cette catégorie, et cela me pose un sérieux problème. Ce n’est plus de la subversion.

Maintenant que je me suis montrée bien salée, je vais me pencher sur la question du consentement.

La question du consentement

À ce stade, vous vous dites : ouais, Justine, tu t’acharnes contre la dark romance. Ou peut-être pas. Alors… En tant que bêta-lectrice et correctrice, je travaille avec une amie qui écrit de la dark romance. Donc bon, on repassera pour l’acharnement. Ensuite, nous en discutons souvent, même si nous ne sommes pas toujours d’accord.

Dans ses romans, oui, il y a des thèmes durs. Il y a des relations de pouvoir, de domination, de la manipulation. Pour autant, je trouve que chez elle, il y a une notion très importante, que devrait respecter toute dark romance :

La notion de consentement.

Oui. Absolument.

Cela ne veut pas dire que la relation en question est saine, au contraire. Cela ajoute même une dimension psychologique plus profonde. Une héroïne qui accepte la toxicité, la manipulation ? Je dis oui. Rien n’est édulcoré, lissé, bien au contraire.

En revanche, là où pour moi, je ne peux pas croire au consentement, c’est lorsqu’il y a des violences inouïes, des actes comme de la pédophilie ou autre. Je le répète : nous sortons du cadre de la dark romance. Vous allez me dire qu’il y a beaucoup de livres classés en dark romance où il y a ce genre de trope. C’est justement un problème, comme je l’ai expliqué.

Il y a une autre chose qui est hyper importante également, et que cette amie fait très bien : il n’y a pas de banalisation. Elle s’efforce d’être vigilante à ce sujet. Oui, l’héroïne accepte ce qu’elle peut subir de la part du roi, mais à aucun moment, l’autrice ne laisse sous-entendre que c’est normal, que « ce n’est rien ». Elle montre à l’inverse les mécanismes de ce qu’il se passe. On est beaucoup dans le psychologique.

Maintenant, c’est bien beau, je parle depuis le début du glissement de sens et de l’évolution de la dark romance. Je parle indirectement de la réappropriation par les lecteurices et auteurices. N’est-elle que négative ?

La réappropriation par les lecteurices et auteurices

En premier lieu : heureusement qu’il existe des dark romances qui sont bien ce qu’elles sont, même si plus haut, j’ai surtout parlé de celles qui sont ultra problématiques – du coup, je ne reviendrai pas sur ces dernières.

Je vais juste parler de deux problèmes dont m’ont parlé certain·e·s lecteurices.

En premier lieu, systématiquement, certaines dark romances se terminent avec un mariage et une myriade d’enfants. Donc, un schéma classique qui ne colle pas avec l’ensemble du roman… et qui est pour le coup convenu, alors que, de base, la dark romance ne se veut pas convenue. Je voudrais aussi ajouter que si le roman aborde des relations violentes, et que l’héroïne finit par épouser son agresseur et avoir un happy end, avec enfants… On entre complètement dans la romantisation. Ce n’est pas possible de lire ce genre de choses.

Quel message envoyez-vous en écrivant ce genre d’histoire ? Je vise les romans de Anna Zaires, Natasha Knight ou même Collen Hoover, dont l’une des dark romances, « Jamais plus », va être adaptée en un film qui a connu une promotion… euh, comment dire… Je vais reparler de la romantisation des relations toxiques plus bas, là j’abordais juste le souci du happy end qui est en décalage.

Ensuite, plusieurs lecteurices, dont mon amie qui écrit elle-même de la dark romance, m’ont fait part du fait que les héroïnes soient souvent décrites comme des femmes innocentes, idiotes, et tout ce qui s’ensuit. Pour moi, cela soulève le côté assez sexiste de certaines dark romances, pour le coup, et cela entre en contradiction avec le côté féministe revendiqué par certain·e·s auteurices.

Maintenant, en ce qui concerne la réappropriation du genre, il y a la volonté de transmettre une forme d’intensité, de creuser la psychologie des personnages. Il s’agit de proposer une romance qui flirte avec les limites. On revient à l’idée de romance interdite…

Le fait d’écrire sur des relations toxiques, sous l’égide de la manipulation, de l’emprise, oui, cela entre dans la définition.

Ce que je n’aime pas, c’est la romantisation et/ou la banalisation desdites relations toxiques, des violences. Là, on n’est plus pour moi dans la dark romance.

Après, les lecteurices font la plupart du temps le distinguo entre la fiction et la réalité. Peut-on dire que lire les dark romances actuelles leur permet de justement savoir ce qui est toxique, problématique ? D’une certaine façon, oui, selon les témoignages que j’ai pu récolter. Il n’y a aucune volonté de fantasmer dessus. Après, il peut arriver que les romans de dark romance tombent entre les mains de personnes, jeunes ou moins jeunes, pouvant être influencées et être amenées à penser que c’est normal, parce qu’elles ont grandi dans un environnement toxique. C’est aux ME et aux auteurices AE de sensibiliser à cette question, et pas juste en mettant un « avertissement public averti ». Détailler un peu, je pense, ne ferait pas de mal.

Certaines personnes se sont interrogées sur ce que le fait d’apprécier la dark romance pouvait dire d’elles. Voilà une question complexe. Déjà, ce n’est pas forcément négatif :

D’abord, c’est une forme de catharsis à la fois pour les lecteurices et les auteurices du genre. Je comprends l’intention. Il y a aussi la volonté de montrer des femmes fortes pour certaines personnes, ou la force de l’être humain. Cela fonctionne si on ne fait pas subir des choses insoutenables à répétition aux personnages, selon moi. Sinon, nous ne sommes plus dans la dark romance non plus et, surtout, il arrive un certain stade où il n’est plus possible de se relever des horreurs subies en tant qu’être humain.

Cela peut signifier que les personnes qui lisent/écrivent de la dark romance ont été soumises ou confrontées à certaines choses. C’est un moyen de s’interroger sur la nature de l’être humain. Là aussi, je peux comprendre.

Cela touche aussi des personnes qui se cherchent, tout simplement.

Après, il reste un dernier point où je grince un peu des dents : la manière dont la dark romance est vendue. Déjà, tout le monde n’est pas d’accord sur le fait de mettre des TW. Pour moi, c’est une démarche inclusive pouvant permettre à un lectorat prévenu de lire, et pas que pour ce genre-là d’ailleurs.

Ensuite, il y a également des dark romances qui sont cataloguées comme étant de la littérature jeunesse. Je n’ai pas besoin de vous expliquer le problème, quand même. En-dessous d’un certain âge, la dark romance, tout comme certains romans d’horreur, ne devraient pas être facilement accessibles.

Certaines dark romances ne sont pas explicites côté couverture ou résumé. On rejoint l’idée des TW, mais ici, il s’agirait de vraiment prévenir qu’il s’agit d’une dark romance. On ne peut pas laisser de tels ouvrages à la portée des mineur·e·s – eh oui, désolée. Et bien sûr, détailler un peu les « avertissements public averti », en expliquant que les relations à l’intérieur de tel ouvrage ne sont pas des relations saines, etc. Bien sûr, les TW ne protègent pas l’auteurice – ils n’ont pas ce rôle ! Les TW ne sont pas un token d’immunité. Ce n’est pas parce qu’on met des TW qu’on peut écrire n’importe comment sur les thèmes sensibles. J’en reparlerai dans mon fameux article à ce sujet.

Ce n’est pas infantiliser les lecteurices, mais les sensibiliser. Nous entrons dans une démarche d’inclusivité et d’accessibilité en appliquant ce principe.

Mais, qu’est-ce que la romantisation ?

En fait, elle peut prendre multiples formes et ne se limite pas à systématiquement une happy end entre l’agresseur (je laisse au masculin, car les protantagonistes – mélange de protagoniste et antagoniste – sont en grande majorité des hommes, avec du pouvoir, etc.) et la victime.

C’est aussi, comme je l’ai dit plus haut, vendre certains types de relations comme étant « spicy », « torrides » : inceste, viol, etc. C’est vendre aussi ce type de relations comme étant des « histoires d’amour », qu’elles se terminent bien ou mal.

En fait, à aucun moment, on ne peut qualifier ces relations comme étant de la romance. La dark romance, je le rappelle, est un sous-genre de la littérature sentimentale. Je m’explique.

Vous avez le droit d’écrire sur les sujets que vous voulez, mais vous ne pouvez pas les qualifier de romances. Vous allez me sortir : oui, mais le cas de l’inceste ? Quand même, c’est différent, et ça reste un amour interdit, ce n’est pas illégal…

On rappelle quelques bases en droit : commençons par la France. L’inceste est un interdit civil, mais pas pénal, pour commencer. Ensuite, oui, le mariage est interdit, MAIS les relations entre unæ mineur·e/unæ majeur·e et deux mineur·e·s sont interdites également, et la majorité sexuelle dans ce cas de figure n’est pas de 15 ans, mais 18 ans, comme l’âge légal pour être majeur. Pour en savoir plus, je vous invite à consulter cet article.

Ensuite, dans d’autres pays, l’inceste est tabou, interdit. Globalement, on est fort·e·s, en France compris, pour à la fois interdire et légitimer l’inceste, voire la pédophilie – mais là, je suis sur un sujet glissant… Je vais donc considérer, selon le bon sens, que ce n’est pas admis. Nous tombons alors dans des actes répréhensibles, et il y a beaucoup trop de victimes d’inceste pour juste se dire « Allez, non, amour interdit, si les deux personnes sont consentantes et majeures, c’est OK ». Parce que cela ne représente absolument pas la majorité des relations incestueuses. Qui plus est, merci d’écouter les personnes concernées.

Mon amie écrivant de la dark romance a, dans un de ses projets, de l’inceste. Ce n’est pas la relation principale, je précise. Elle a démembré petit à petit ladite relation et montré par A + B que ce n’était en rien une histoire d’amour, mais une histoire de domination de l’aîné sur la cadette, sans trop spoiler.

J’ai pris l’exemple de l’inceste. Vous pouvez avoir la même rhétorique sur d’autres thèmes très problématiques utilisés dans la dark romance.

Enfin, selon moi, romantiser des relations toxiques, même si c’est développé, expliqué… Je ne peux pas lire. Alors attention : je peux lire des romans sur des relations toxiques et tout ce qui s’ensuit. Je peux lire des romans où des femmes se marient avec leur futur ou présent agresseur, font des enfants avec… C’est quelque chose qui existe hélas, qui arrive je dirais tous les jours. Oui, parce que les féminicides, tout ça… Voilà. Donc lire des romans sur ces relations, il n’y a aucun problème, de même qu’il n’y a aucun problème à entrer dans la psychologie des personnages pour comprendre le pourquoi.

Ce que je ne peux pas, c’est quand c’est romantisé, montré comme une histoire d’amour. Je ne peux pas être plus claire. La comparaison avec le fait de faire/consommer du true crime ne tient pas, parce que le but du true crime est exactement le même que ce que j’ai expliqué plus haut : raconter des histoires sur des relations toxiques, plonger dans la psychologie des personnages, etc. Mais le true crime ne romantise pas. Je sais, vous allez me citer la série Netflix Dahmer. Toutefois, il y a eu un sacré tollé sur ladite série, parce que les personnes ont bien compris que romantiser l’histoire d’un tueur en série, urg. C’est pourquoi, pour moi, vous ne pouvez pas comparer les deux.

Je vais poser une question assez crue aux lecteurices de ce type de dark romance : qu’est-ce qui vous fait fantasmer de romantiser les relations violentes ? Pourquoi vous faut-il cet élément en plus pour apprécier votre lecture, alors que pour consommer du true crime, il n’y a pas du tout besoin de romantiser ? Certaines personnes m’ont répondu que c’était le côté possession. Je peux comprendre… Seulement, je pense que c’est là qu’on touche au domaine de la déconstruction. Ce n’est que mon avis.

En ce qui concerne lire des romances avec le mâle alpha possessif, j’ai eu cette phase de consommer ce genre de contenu plus jeune. En revanche, je n’arrive pas du tout à concevoir dans ma tête qu’un homme qui frappe sa compagne, la violente psychologiquement ou autre, est amoureux. Pour moi, une personne qui en aime une autre veut en prendre soin. Je ne peux pas sortir de ce schéma.

Je suis cette personne qui adore les personnages gris, les antagonistes. Cependant, quand ces personnages torturés sont en relation amoureuse, pour moi, iels ne violentent pas les personnes dont iels sont amoureuxes. Bon, iels peuvent faire preuve de maladresse, faire mal sans le vouloir. Iels peuvent avoir des propos et actes problématiques, mais ce n’est pas volontaire, surtout s’iels se corrigent ensuite. C’est peut-être con, mais c’est comme ça. D’où le fait également que je trouve que les happy ends avec enfants dans les dark romances sont insupportables pour moi.

J’ai eu un géniteur qui a battu ma mère et même plus. J’ai eu un ex-beau-père qui est une personnalité narcissique en plus d’être violent verbalement et physiquement aussi. En tant que victime collatérale, je ne peux donc pas fantasmer sur les relations toxiques romantisées. De ce fait, je ne comprendrai jamais les lecteurices qui, en ayant vécu elleux aussi ce genre de violences, le peuvent. J’entends leurs arguments, mais voilà.

Les couvertures participent-elles à la glamourisation du genre ?

À la base, je n’avais pas du tout prévu de parler des couvertures des dark romances. Jusqu’à assez récemment, je les trouvais assez reconnaissables et, bien qu’il manque parfois des avertissements de contenu, je n’avais rien de spécial à dire sur les couvertures en elle-même, sauf sur un point : les hommes torses-nus dessus.

Bon, il faut le dire, pour n’importe quel genre, voir un « mâle » torse nu, je sature un peu, surtout que ce n’est pas la partie du corps qui m’attire le plus chez un homme – ni les physiques présentés sur lesdites couvertures. Bref, ce n’est pas le sujet. Dans le cadre de la dark romance, il n’y a pas de problème particulier à en voir, sauf lorsque l’histoire porte sur des sujets répréhensibles, comme expliqué déjà lors des points précédents.

Maintenant, depuis quelques temps, plusieurs personnes ont remarqué autre chose par rapport aux couvertures des dark romances : de plus en plus, on y aperçoit des éléments qui ne collent pas avec le genre. Des petits oiseaux, des plumes, des fleurs, des papillons, des couleurs pastel globalement… Bon, en ce qui concerne les fleurs, la rose est un cas à part, étant donné la lourde symbolique derrière.

Ces personnes trouvent que, du coup, ce n’est pas très raccord, cela peut être trompeur pour les lecteurices. D’autres personnes pensent que chaque élément pris à part a une signification cohérente : le papillon pour évoquer la fragilité, l’oiseau pour évoquer la perte de liberté, etc.

Certes. Après, le problème est que lesdites couvertures dégagent une ambiance qui colle à une romance, pas une dark romance. Généralement, une couverture de dark romance dégage une ambiance sombre, avec des éléments qui la rappellent bien. Sur certaines couvertures de dark romances d’aujourd’hui, ce n’est plus trop le cas.

Plusieurs personnes en viennent à la conclusion que c’est purement marketing, voire mercantile… Tout comme catégoriser des livres en dark romance alors que ce ne sont pas des dark romances…

L’argument ultime (non) : « Ne lis pas Game of Thrones ».

À partir de cette phrase, je vois aisément que les personnes qui la sortent n’ont pas compris ce que moi et d’autres personnes pointons du doigt. Déjà, j’espère que les propos précédents ont pu éclairer votre lanterne. Qui plus est, concernant GoT, on va remettre les points sur les i, les barres sur les T, les accents et tout le tralala :

GoT n’est PAS une dark romance et n’a JAMAIS été classé comme tel. Il s’agit d’une dark fantasy. Et là, pour le coup, c’est plus clair. Oui, le genre change – même s’il n’excuse pas le traitement d’un thème, je le rappelle –, parce qu’à aucun moment, on n’écrit sous l’angle « romance ». Je ne dis pas, il y a des dark fantasy, des thrillers, etc. qui abordent très mal l’inceste, mais là n’est pas le sujet.

Ensuite, les relations incestueuses entre les Targaryens, ou entre Cersei et Jaime Lannister, pour ne prendre que ces exemples-là, ne sont PAS romantisées ! À aucun moment, ce n’est montré comme tel. On comprend d’autant mieux même les mécanismes de domination derrière, les problématiques, les conséquences… Ne me faites pas l’affront de vous expliquer, quand même. Lisez la saga pour mieux vous faire une idée… Et non, ce type de relation n’était pas approuvé. Non mais, sérieusement ? Dois-je vous rappeler ce qui est arrivé à Bran Stark qui les a surpris ? Pourquoi Robert Lannister et Ned Stark sont morts ? La relation de Jaime et Cersei était un secret… Bref.

La saga GoT, je l’ai lue – et j’attends toujours la suite… – j’ai également vu la série. Je n’ai pas vu encore House of The Dragon, mais une personne m’a signalé que l’inceste y était normalisée, et donc que la série pêchait par rapport à GoT et ce qui est dit autour des Targaryens. Après, d’autres personnes trouvent que non, les relations n’y sont pas romantisées. Il faudrait que je regarde par moi-même. Autre point : pour les deux séries (et les livres), l’inceste a été un des points les plus vivement critiqués, avec les violences sexuelles de manière générale. Donc ce n’est pas tant « passé crème » que cela.

Alors prendre exemple de GoT pour tenter de contrer les arguments précédents, non. Ça ne marche pas.

L’argument ultime n°2 (toujours pas) : Vous dénoncez à géométrie variable, vous ne dites rien pour d’autres œuvres passées qui sont aussi problématiques/ si vous êtes auteurices vous-mêmes, vous aussi avez écrit des trucs cringes.

Premièrement : bien sûr que si, nous dénonçons d’autres œuvres passées. C’est plutôt vous qui pouvez avoir un regard biaisé et n’avez pas vu les réactions à l’époque où c’est sorti. Ensuite, il n’est jamais trop tard pour dénoncer une œuvre. Récemment, les gens ont reparlé du film Léon de Luc Besson. À l’époque, il avait suscité des réactions déjà. Ensuite, s’il est pointé du doigt aujourd’hui, ce n’est pas au nom d’une « idéologie woke » ou je ne sais quoi – d’ailleurs, cette sémantique est propre à l’extrême-droite, faites attention au choix de vos mots… Pour être claire : c’est la mise en scène du film qui est très limite parfois.

Pourquoi certaines personnes s’en rendent compte seulement maintenant ? Pourquoi réalise-t-on des années plus tard en quoi une œuvre est problématique ? Tout simplement parce qu’on n’était pas déconstruit·e…

J’ai cité Léon, je peux citer la saga Harry Potter. Nous n’avions pas du tout le même regard dessus avant que l’autrice ne montre son vrai visage en tant que transphobe, entre autres. Et même au-delà de cela, Nous n’avons pas le même regard en tant qu’adulte dessus. La plupart d’entre nous avons découvert la saga pendant l’adolescence. Beaucoup d’entre nous n’étions pas sensibilisæs au fait qu’il y avait des propos grossophobes, sérophobes (à travers le personnage de Lupin), etc.

Cela rejoint le fait que parmi nous, certaines personnes écrivent (dont moi), et nous avons tout·e·s écrit des choses cringes plus jeunes. Je ne dis pas cela en tant qu’excuse, attention, au contraire. Depuis, nous avons évolué, nous sommes rendu compte du problème pour la plupart d’entre nous. C’est aussi ça, la déconstruction.

Je l’ai déjà expliqué dans d’autres articles : personne ne naît 100% déconstruit·e, et c’est le travail de toute une vie. Ce n’est pas grave si vous n’aviez pas conscience que certaines œuvres que vous avez aimées étaient problématiques. Le plus important est que maintenant que vous avez ouvert les yeux, c’est d’avancer et de comprendre la nécessité de traiter des thèmes sensibles avec justesse, pas n’importe comment.

Conclusion

Je pense qu’il y a du tri à faire dans ce qui est publié actuellement en dark romance.

On ne vous demande pas des « dark romances doudou », hein. Oui, on a osé me sortir ces termes – et cela prouve que vous n’avez rien compris à ce que nous pointons du doigt.

Catégoriser correctement des romans qui n’en sont pas, mais qui y ont été placés pour des raisons marketing, c’est un premier pas.

Dénoncer les ouvrages vraiment problématiques, où il y a promotion, apologie de la pédopornographie, du viol, de toute forme de violence, c’est le pas suivant.

Enfin, les romans de dark romance ne doivent pas être accessibles en-dessous d’un certain âge. Je sais que pour certaines dark romances, il y a des enseignes qui les vendent sous blister et demandent la carte d’identité. Cependant, c’est insuffisant et, autre problème, les dark romances sont accessibles via le Pass Culture pour les jeunes. Cela devrait être plus encadré.

Au fond, chacun·e a le droit de lire la dark romance, d’en écrire, en dehors de celles problématiques et condamnables.

Enfin, pour n’importe quel genre littéraire, vous pouvez écrire sur tout, mais pas n’importe comment ! L’étiquette dark romance et les TW ne sont pas des token d’immunité, merci.

Sources qui m’ont servie à rédiger l’article :

Tout savoir sur la Dark Romance
Marquis de Sade : faut-il encore être choqué ?
Quels sont les différents genres de la romance ?
La Dark Romance, une littérature qui divise et inquiète
La Dark Romance
La dark romance, le genre littéraire sexiste et violent au succès inquiétant
La Dark Romance, un genre littéraire dangereux ?

Cet article a 3 commentaires

  1. Leni

    Merci pour cet article très complet et détaillé.

    Je ne suis pas lectrice de romance, et je pensais que la dark romance concernait les fameux bouquins qui inondent le marché depuis quelques années, les 50 nuances ou les after, qui romantisent à mort les relations toxiques.
    Même en n’étant pas lectrice de ce genre, les romans de ce type me mettent mal à l’aise (alors qu’un bouquin qui dénoncerait cette toxicité aurait un tout autre impact, mais je ne vais pas revenir sur ce que tu as dit, je suis d’accord avec toi). Et je ne parle pas des couvertures… Si en plus ils rajoutent des petits cœurs et des papillons dessus, ça aggrave les choses selon moi.

    Je me demande si annoncer par des TW, un avant-propos ou un avertissement en début de livre (et sur la couverture aussi) aurait réellement un impact. Les gens font-ils réellement attention à ça ? (C’est une vraie question).

    Concernant House of the Dragon, je me permets d’apporter ma pierre, ayant lu « Feu & Sang », dont est tiré l’histoire de HotD. Le bouquin est en fait une chronique des Targaryen, qui narre l’histoire de la famille à partir du moment où ils arrivent sur Westeros, jusqu’à la fin de la danse des dragons (qui est donc mise en images dans la série). Le côté incestueux des mariages dérange les ouestriens. Il y a même une quasi guerre civile à cause de ça (puis ça se calme, car les Targaryens indiquent que c’est comme une tradition et les gens font avec, mais sans forcément l’accepter). Après cet épisode, on en parle moins. Il n’en reste pas moins que certains passages m’ont dérangée.

    En ce qui concerne la série, je n’ai pas souvenir qu’ils font une critique sur le mariage incestueux qui a lieu (la nièce qui se marie avec son oncle). C’est dommage et ça manque vraiment.

    1. Justine_CM

      Merci pour ton commentaire et ton éclairage supplémentaire sur les Targaryens.
      En ce qui concerne les TW et avertissements, cela peut avoir un impact sur certaines personnes. Sur les lecteurices de dark romance en elleux-mêmes, je ne sais pas, même si comme toi, je pencherais vers le « non », mais là, c’est plus parce qu’il y a cette envie de se dire « rien à foutre ». Tu vois ce que je veux dire ?
      En tout cas, merci à toi !

Laisser un commentaire