Je me suis dit : pourquoi ne pas faire un récapitulatif de ce que je peux entendre, et vous répondre de manière assez… Enfin, vous savez, quoi. On parle quand même de mon métier principal, et quand je vois que ledit métier n’est pas considéré à sa juste valeur par notre *mode sarcasme on* cher et merveilleux gouvernement…
Quelques précisions toutefois avant de commencer : les aides à domicile ne sont pas des soignant·e·s. Nous sommes plus exactement dans le « socio-médical ». D’ailleurs, plus loin dans cet article, je parle de certains actes médicaux que les gens nous demandent d’accomplir alors que nous n’en avons pas le droit. L’histoire de la toilette au lit complète, j’en reparle également, donc patientez.
Les aides à domicile sont à la fois les premiers témoins et les victimes collatérales du « all care givers »/« tous les soignant·e·s ».
La question de la maltraitance, de « l’humanitude » dans mon travail ou même dans le milieu socio-médical, je l’aborderai dans un autre article. Ici, je parlerai uniquement de mon expérience individuelle en tant qu’aide à domicile, du regard que les autres portent sur mon métier. Merci de votre compréhension et bonne lecture.
1. Je promène papi/mamie
Déjà, employer la terminologie « papi », « mamie », etc. pour parler des personnes dont nous nous occupons, c’est irrespectueux. Ce ne sont ni des enfants ni des objets, merci. Là, je m’adresse autant à vous qu’aux collègues aides à domicile, aides-soignant·e·s, IDE, etc. qui emploient ce vocabulaire.
Ensuite, s’il peut nous arriver d’effectuer des sorties à la demande des bénéficiaires dont on s’occupe, ce n’est qu’une tâche parmi tant d’autres et, qui plus est, le but de ces sorties est principalement de les conduire à des rendez-vous médicaux, aux courses, etc. Des sorties de type « loisir », cela arrive, mais elles n’occupent même pas 30 % de nos tâches d’aide à domicile.
Le contact social est l’un des aspects les plus importants de notre métier, et il se traduit de diverses manières, pas uniquement lors de sorties de type « loisir ».
2. Je torche des culs, quoi.
Encore une fois, le respect est mort.
À côté de cette phrase empreinte de mépris, vous dites souvent aussi « Ah ! Moi, je ne pourrais pas le faire, ce n’est pas pour moi, etc. »
Si vous êtes le genre de personne à sortir ces deux phrases – donc qu’être aide à domicile, c’est torcher des culs et ce n’est pas un métier pour vous –, je vais d’emblée vous considérer comme quelqu’un de méritocrate et classiste, qui pense que ce genre de métier est réservé à un type d’employæ particulier – le plus souvent une femme, sans diplôme, que vous qualifierez de stupide, non cultivée… Bonus : les femmes racisées sont les plus touchées par ce genre de propos élitistes et classistes.
Après, attention : si vous faites partie des personnes qui me disent simplement « ce métier n’est pas fait pour moi », vous, je ne vous vise pas. Je parle vraiment des gens qui sortent avec dédain « ouais, torcher des culs de vieux, quoi ».
Être aide à domicile, c’est une vocation, tout le monde n’en est pas capable. C’est un métier difficile, où il faut de l’organisation, être autonome, avoir un bon contact social avec les personnes dont on s’occupe, etc. Il faut également être solide mentalement et physiquement – même si l’ARS ne semble pas considérer que notre métier a une grande pénibilité…
3. Je peux faire le boulot des IDE/aides-soignant·e·s, comme mettre des pansements d’esquarres (ça rentre totalement en contradiction avec la phrase au-dessus, c’est drôle n’est-ce pas ?).
En tant qu’aide-à-domicile, je n’ai pas le droit de faire des soins.
La toilette fait partie des actes de soin, me direz-vous. Eh bien, nous avons le droit d’effectuer ce que l’on appelle « l’aide à la toilette ». Assister la personne, la stimuler, l’aider à garder son autonomie…
Tout ceci, c’est sur le papier.
Après, ne nous mentons pas : nous nous retrouvons de plus en plus dans le cas où nous devons nous occuper de toilettes au lit, parfois lourdes. Nous manipulons également des lève-personnes, verticalisateurs, après avoir été formæs là-dessus. Cela fait des années que c’est effectif.
Pourquoi ? Parce qu’il n’y a plus de personnel soignant. Voilà.
Je sais, nous ne devrions pas avoir le droit, ce sont des actes de base réservés aux aides-soignant·e·s. Vous trouverez beaucoup de sources allant en ce sens. Les seules personnes pouvant parfois faire des toilettes et manipuler du matériel doivent avoir le diplôme d’auxiliaire de vie (DEAVS) ou justifier d’une expérience professionnelle de trois ans. Et encore, ces conditions n’apparaissent pas partout, je ne suis pas certaine que ce soit validé.
Est-ce que c’est normal ? Non, j’en conviens. Ne venez pas me hurler dessus, me traiter de menteuse. Si vous êtes du métier, vous savez, c’est tout.
Dans le cadre de mon travail, et en tant que déléguée du personnel du CSE, j’ai posé la question à une collègue du CSE, faisant également partie du CSSCT, si nous étions couvert·e·s par notre employeur si nous devons manipuler du matériel, faire une toilette au lit lourde… La question sera abordée en réunion CSSCT. Je ne peux pas vous dire mieux.
Sinon, est-ce des actes comme des soins d’esquarre ou tout autre acte médical similaire sont couverts ? Non. Point. Là-dessus, il n’y a aucune ambiguïté, tout comme nous n’avons pas le droit de couper les ongles des personnes diabétiques, leur faire leur piqûre d’insuline, etc.
Et donc, même si des collègues aides à domicile effectuent parfois certains de ces actes, moi, je m’y refuse. Déjà, parce que je n’ai pas été formée à le faire. Et quand bien même, je ne suis pas couverte par mon employeur.
Il n’empêche, pour revenir au propos, que même si vous nous traitez de « bonniches », de « torcheur·euses de culs », de « personnes sans études », vous nous prêtez quand ça vous arrange des qualifications et nous ordonnez parfois de le faire si vous êtes de la famille du bénéficiaire, alors que… ce n’est pas à vous que nous devons rendre des comptes.
4. Je fais juste le ménage, la popote…
Ces tâches que vous qualifiez avec du mépris, encore une fois, voire des termes dégradants et infantilisants, font partie d’une multitude d’autres, comme je le précisais plus haut. Et entre nous, vous adorez aussi nous « montrer comment il faut faire »…
Non. Laissez-nous faire notre métier sans vous comporter comme notre employeur·euse. D’ailleurs, je reviens sur cette croyance que vous avez le droit de nous ordonner des choses juste après. Si nous ne vous donnons pas satisfaction, allez vous plaindre à notre responsable de secteur.
Grosse précision par rapport à cela : bon, je suis humaine, il peut arriver que j’oublie quelque chose ou que je n’ai pas fait correctement quelque chose. Évidemment, mes bénéficiaires me le disent, il n’y a aucun problème. Ils ont le droit aussi de dire qu’ils ne sont pas contents. Si c’est justifié, je répare mes erreurs. Si ce n’est pas justifié, je leur dis de se plaindre envers ma responsable de secteur. Voilà.
Il y a une chose, en revanche, que je ne supporte pas : que mes bénéficiaires ne me disent rien à moi et passent leur temps à se plaindre de moi à ma responsable. Dans ce cas, c’est simple : je demande à ce qu’on me retire la situation. C’est tout. Je ne conviens pas à la personne, et la situation ne me convient pas non plus. Voilà.
Quant à moi, sachez que je signale tout comportement de ce type (précision : me donner des ordres, me dire comment je dois travailler, me considérer comme une moins que rien), ou tout simplement rabaissant, envers ma personne. Que vous soyez bénéficiaire ou de la famille du bénéficiaire. Pourquoi ? Pour me couvrir, me défendre, et qu’il y ait une trace écrite.
Les transmissions écrites, via le cahier de transmissions du bénéficiaire, les messages que nous envoyons à notre responsable de secteur, c’est très important. Ne les négligez jamais.
5. Je dois écouter les ordres des IDE/aides-soignant·e·s avec qui je suis amenée à travailler, ou je dois écouter la famille de la bénéficiaire (ou même les tuteurices de l’UDAF…)
Alors… Travailler en équipe, oui. Mais ce ne sont pas mes chef·fe·s. VOUS n’êtes pas mon employeur·euse. C’est à ma responsable de secteur et à mon/ma bénéficiaire que j’obéis, à qui je dois rendre des comptes, pas à quelqu’un d’autre.
Bon, après, si mon/ma bénéficiaire m’ordonne de faire des choses illégales, qui ne sont pas dans mes tâches – comme nettoyer des caves, jardiner… –, je vais également refuser. Il ne faut pas déconner non plus.
J’ai eu le cas où une membre de la famille d’une bénéficiaire exigeait que je fasse ceci ou cela, alors que ce n’était absolument pas le souhait de ma bénéficiaire, et que mon refus ne la mettait pas en danger. Ou une IDE qui voulait que je nettoie sa merde – et donc restes de pansement et compresses laissés sur l’adaptable, puisque c’est moi la bonniche…
NON. Vous me manquez de respect en agissant ainsi. Qui plus est, me rajouter des tâches non prévues alors que j’ai assez à faire, et que je suis mal payée… Je veux bien être gentille, mais il ne faut pas pousser.
6. Tout le monde peut faire ce que je fais.
Eh bien, allez-y, venez. Venez postuler, suivez-moi dans mes tournées. Je vous attends. Quoi ? C’est trop compliqué ? Il y a trop de choses à faire ? Mes bénéficiaires sont pénibles, et en plus, selon vos termes, je m’occupe « de vieux, de fols et compagnie » ?
Pourquoi est-ce que j’apporte cette précision par rapport aux personnes folles ? Parce que j’ai une tournée composée en majorité de bénéficiaires handicapæs, avec des troubles psys divers et variés, et j’ai pu entendre parfois que je travaillais avec « des gogoles ». Votre psychophobie, allez vous étouffer avec au bout d’un moment.
7. Je ne suis pas très intelligente, parce que je n’ai pas fait de longues études.
Et les gens ferment bien leur bouche quand je leur explique que j’ai un master d’enseignement, une licence d’histoire-géographie, un bac scientifique… Ou alors, ils me sortent la remarque qui vient juste après.
8. Je mérite mieux que ce métier.
C’est très classiste et méritocrate comme discours. Qui plus est, cela renvoie au fait que le métier d’auxiliaire de vie, d’aide à domicile, ne mérite aucune reconnaissance. On en revient toujours au même.
9. Je suis payée pour ça.
Je suis payée pour faire mon travail, pas pour être rabaissée, insultée, humiliée, voire frappée. Et je peux vous dire que c’est arrivé. Et que j’ai exercé mon droit de retrait au bout d’un moment.
Non, je ne me laisse pas faire, et vous n’imaginez pas ce que l’on peut essuyer comme violences parfois.
10. Les intervenant·e·s sont souvent des personnes pas dégourdies/qui ne veulent pas/ne savent pas travailler.
Comme dans tous les métiers. Je rajouterais toutefois que dans le cas de l’aide à la personne, si le métier avait beaucoup plus de reconnaissance, de meilleures conditions de travail, de meilleures formations, un meilleur salaire… eh bien, peut-être que vous auriez affaire à un peu plus d’intervenant·e·s compétent·e·s, qu’on ne catapulte pas sur le terrain comme ça a été mon cas.
Parce qu’une formation de 5 jours avec des collègues qui ont été adorables sur leur tournée, ça ne suffit pas, notamment quand lesdits collègues n’avaient pas de bénéficiaires où il fallait utiliser un lève-personne, un verticalisateur… J’ai dû insister et insister pour enfin avoir une formation de manutention et utilisation des appareils au bout d’une fucking année de boulot dans l’entreprise ! En sachant que j’avais fait des pieds et des mains AVANT pour qu’unæ collègue me montre sur son temps de travail l’utilisation de certaines machines, parce que je m’occupais de bénéficiaires où il fallait les utiliser. Ben oui.
11. Il y a beaucoup d’intervenant.e.s qui volent.
Comme dans n’importe quel métier… Vraiment, je n’en peux plus d’entendre ces remarques, qui montrent une fois de plus que vous considérez vraiment le métier d’aide à domicile comme un sous-métier, les aides à domicile comme des sous-êtres. C’est l’effet que ça me fait.
Attention : je ne cautionne pas le vol, peu importe dans quelles conditions cela se passe. Cependant, je déteste quand vous faites une généralisation sur ce métier.
12. Ben non, vous n’avez pas le droit de faire des toilettes au lit/complètes !
Déjà, je vous renvoie au point n°3 sur ce que l’on est habilitæs à faire ou non.
Ensuite, mes chéris, vous êtes choux, mais vous n’êtes pas sur le terrain. On nous demande d’exécuter ces tâches parce qu’il y a un manque cruel d’aides-soignant·e·s. Il y a ce que l’on appelle le glissement de tâches, dont je parlais plus haut.
En revanche, je suis d’accord avec vous sur d’autres points : comme je l’ai dit plus haut, je n’ai pas le droit de faire de soins en tant qu’aide-à-domicile. Petite « exception » : nous nous retrouvons à utiliser par exemple de l’éconazole si la personne a une mycose et que le médecin a délivré une ordonnance qui nous autorise à le faire. Je n’ai pas le droit de changer de sonde gastrique, ou ce genre de choses. J’ai le droit, en revanche, de vider une poche urinaire. Ou bien, de donner des médicaments s’ils ont été préalablement préparés par la famille/l’IDE dans un pilulier, etc.
13. C’est un métier de femmes (personnes perçues comme femmes).
Ce métier peut être fait par des personnes perçues comme hommes. Cependant, il est vrai que la confiance, notamment pour les toilettes, sera difficile si c’est une personne assignée homme ou perçue comme homme qui intervient chez une femme bénéficiaire. Il peut également y avoir un manque de maturité au niveau de l’organisation des tâches chez les amab (sauf les femmes trans), mais ce n’est pas propre au métier d’aide à domicile, ça (déso, pas déso, la charge mentale reste aux personnes assignées ou perçues comme femmes).
14. Il faut me montrer comment travailler.
Donc faire le ménage, la cuisine, etc. comme le faisait la personne dont je m’occupe avant de ne plus pouvoir, par exemple. Alors, euh… non. Je vous renvoie au point 4 à ce sujet.
Vraiment, je connais mon métier, et si je ne sais pas quelque chose, s’il me manque une information, je suis assez grande pour vous demander, ou demander au bénéficiaire, ou à ma responsable de secteur quand il s’agit de précisions qu’elle est capable de m’apporter par rapport à une situation.
Je pense avoir fait le tour. J’espère avoir mis en lumière certaines choses.