Ouuuuh. D’office, les attaques et les insultes, Justine ? Peut-être parce que l’on parle d’un sujet récurrent, sur lequel je n’ai pas encore eu l’occasion d’écrire ? Un sujet qui a connu une évolution encore plus négative qu’avant ? À tout hasard…
De quoi est-ce que je parle, enfin ? Si, vous savez : la fameuse culture du gratuit, du « Je te paie en visibilité ». Bon, quand je dis que je n’en ai pas parlé, c’est à moitié vrai. J’ai eu l’occasion de le faire à travers le fait d’être auteurice pro, et aussi la question des IA : la création en détresse, parce que les gens préfèrent cracher sur les artistes plutôt que de comprendre le gros problème de l’utilisation actuelle des IA.
Récemment, une autrice et amie s’est pris une remarque sur un extrait d’une de ses nouvelles, publié sur une plateforme d’écriture, l’Atelier des Auteurs. La remarque, la voici : « Ouf, c’est gratuit ». L’auteurice du commentaire, que l’on surnommera A, a constaté avant cela qu’iel ne pouvait pas mettre d’annotations. Il s’agissait d’un extrait d’un texte finalisé et appartenant à une nouvelle mise en vente. Déjà, A aurait pu se renseigner un minimum. Ensuite, sa remarque sous-entendait quoi ? Ouf, c’est gratuit, parce qu’iel n’a pas aimé ? Ou, si on traduit bien, parce qu’iel a trouvé l’extrait nul ? Juger, imposer sa vérité, tout ça, tout ça… et ça me saoule de plus en plus aussi, pour être franche.
Par la suite, quelque temps plus tard, une autre autrice dont j’aime le contenu a reçu un commentaire assez hargneux sur Amazon, de la part d’unæ lecteurice qui, visiblement, fait la chasse aux auteurices autoéditæs. Un commentaire ponctué par un magnifique « Je comprends que ce livre soit gratuit ».
Encore une fois, ce n’est pas le cas : le livre de cette autrice fait partie de l’abonnement Kindle. Donc quand on décide de prendre un abonnement Kindle, les auteurices faisant partie du programme sont rémunéræs. Bref, vous connaissez le fonctionnement normalement.
Vous avez vraiment un gros problème avec ça. Dès l’instant où une œuvre ne vous plaît pas, déjà, vous vous permettez d’ériger votre avis au rang de vérité générale. Ensuite, vous osez penser que parce ladite œuvre ne vous plaît pas, son auteurice ne mérite pas salaire ?
Derrière toute œuvre, il y a des heures de travail, que cela vous plaise ou non. On vous l’a assez dit que le système de rémunération des artistes – dont les auteurices font partie, oui, oui – est de plus en plus claqué au sol. Les fameux droits d’auteurice sur lesquels vous crachez dessus allègrement alors que pour la majorité des artistes, iels n’en vivent pas…
Dans tout autre domaine, le temps de travail est rémunéré. Pas toujours comme il le faudrait, certes.
Le temps de travail des artistes est souvent invisibilisé. Les illustrateurices parviennent avec beaucoup de difficultés à se faire rémunérer pour leur temps de travail sur une œuvre. Pour les auteurices, ce n’est pas le cas. Les heures passées à écrire des histoires, à les réécrire, les corriger, à écrire le pitch, etc. ne sont pas rémunérées – sauf dans le cas où une ME passe commande à unæ auteurice et, en conséquence, lui verse un à valoir.
Oh, comment ça, rémunérer un « loisir » ? Ce n’est pas « juste » un loisir. Pour moi, c’est aussi un travail, et actuellement, la manière de rémunérer les auteurices n’est absolument pas juste.
Qui plus est, la plupart du temps, quand iels désirent promouvoir leurs œuvres, iels doivent payer pour cela. Oui, pour aller en salon, à des conférences, alors que c’est du temps de travail qui devrait, au contraire, leur être payé. Idem pour les artistes en règle générale… à moins d’être hyper connux.
Encore récemment, je suis tombée par hasard sur une vidéo Tik-Tok d’une éditrice d’une ME. Elle abordait le sujet du fameux camembert de répartition du prix du livre. Certains propos m’ont hérissé le poil, notamment sur le fait que « il faut relativiser le fait qu’unæ auteurice ne touche pas grand-chose, parce que la ME s’occupe de tout et que c’est tout bénef pour l’auteurice ».
On rappelle gentiment que sans auteurices, les ME ne pourraient pas s’épanouir, la base. À moins de tout faire soi-même – et le mythe du selfe-made-(wo)man, vous savez ce que j’en pense –, sans prestataires, partenaires ou même employæs, une entreprise ne va pas très loin.
Ensuite, il n’y a aucun lien de subordination entre l’auteurice et l’éditeurice. Le contrat d’édition n’est pas un contrat de travail. De ce fait, les droits d’auteur ne sont pas assimilables à un salaire. L’auteurice n’est donc pas unæ employæ, mais unæ partenaire. Après, cette ligne devient floue lorsque l’éditeurice commence à passer commande auprès de l’auteurice, lui verse des à valoir en conséquence. Là, le temps de travail est partiellement « payé ».
À partir de tous les éléments que je vous donne, vous entrevoyez les limites du droit d’auteurice et pourquoi, aujourd’hui, il devient de plus en plus inégal et problématique, tout comme la rémunération de l’ensemble des acteurices de la chaîne du livre.
Il y a deux siècles, la situation était différente ; aujourd’hui, l’on demande aux auteurices de plus en plus de professionnalisation. La surproduction de livres est un autre problème qui participe à la dégradation des conditions de travail des auteurices. D’ailleurs, à ce sujet, le fait que les éditeurices défendent bec et ongles leurs auteurices n’est pas toujours vrai, surtout au sein d’une ME qui multiplie les publications par mois…
D’un côté, il y a trop de publications. D’un autre, il y a des auteurices qui ont une plume incroyable. Je n’ai pas la solution, je dis juste que le système actuel est de plus en plus branlant.
Bref, tout est expliqué ici.
Donc, en conclusion : sans auteurices, pas de ME. Les livres font à la fois vivre éditeurices et auteurices. À partir de là, il n’y a pas à dire ou sous-entendre que « C’est déjà bien si les auteurices touchent quelque chose ». La part de travail est présente chez l’ensemble des acteurices du monde du livre, même si dans cet article, je n’ai pas évoqué les libraires, les autres prestataires de service.
La répartition du prix du livre est injuste, inégale. Il faudrait cesser de justifier le fait que ce soit l’auteurice qui se retrouve avec des miettes.
Une ME a des frais à couvrir, une entreprise à faire tourner ? Les auteurices ont un loyer à payer, des factures. Iels doivent se nourrir, et très peu vivent uniquement de leurs œuvres à cause de ce système de rémunération, justement. Alors oui, des éditeurices ont aussi un travail à côté, sauf que cela ne change absolument pas mon propos.
À aucun moment, l’on se dit que les ME gagnent trop. Ce n’est pas une compétition en fait. Vouloir revoir le système de rémunération dans l’ensemble de la chaîne du livre, ce n’est pas vouloir que X gagne plus que Y. On demande une rémunération juste, et vraiment basée sur des choses factuelles…
Je sais, j’en demande trop, surtout quand j’entends et lis vos remarques de cancrelats, comme quoi « Heureusement, c’est gratuit ! ». Là, ma misanthropie se déploie telle une explosion nucléaire.
Vous devriez avoir honte.
Enfin bon, quand je vous vois aussi promouvoir les IA et vous réjouir que ce soit encore moins cher que les artistes qui bradaient leur art, je n’ai malheureusement plus d’espoir. Je m’adresse ici autant aux auteurices, qu’aux lecteurices, et aux ME pour le coup, par rapport aux IA, et sérieusement, vous m’horrifiez et m’horripilez à la fois.
En tant que précaire qui a de plus en plus de mal à joindre les deux bouts, je ne peux pas cautionner la culture du « gratuit », peu importe sa forme, et jamais je ne me permettrai de dire que « Oh ben à GIFI/Action/etc., iels font la même chose pour moins cher », « Ouuuuuf, c’est gratuit », ou « Boarf, je vais passer par une IA, j’aurai tout rapidement pour pas cher, et j’en ai rien à foutre si les IA volent le contenu d’artistes ».
Si seulement la connerie n’était pas gratuite, elle…
Bisous câlins
Bisous câlins ^^.