« Tu es trop sensible. »
« Le monde ne tourne pas autour de toi. »
« Tu prêtes aux autres des intentions qu’ils n’ont pas. »
« Toi, tu es fière, cassante, prête à user de ton petit pouvoir de chef. »
« Pfff, tu es une donneuse de leçons/tu fais ton intéressante. »
« Tu ne devrais pas faire carrière dans le social. »
« Franchement, tu ne sais pas parler/écrire français. »
« Pauvre attardée mentale. »
« Tu es condescendante. »
« Pour te donner un genre, essayer d’être ce que tu n’es pas, pour montrer que tu n’es pas bête, tu parles soutenu. »
« Ben oui, tu donnes raison à tes détracteurs. »
« Tu écris de jolis mots alignés et sans âme. »
« Toi, tu ne sais pas te remettre en question. »
« De toute façon, tu finiras sous les ponts/dans la rue. »
Vous devez vous dire : un article pour te faire plaindre, Justine ? Ou pour ressasser ? Ni l’un ni l’autre. Je souhaitais juste faire une mise au point sur où j’en suis aujourd’hui, par rapport à beaucoup de choses dans ma vie, et ces phrases ont été un prétexte pour entrer dans le vif du sujet.
Maintenant, je vais revenir de manière posée sur certaines affirmations non pas pour me justifier, mais souligner leur caractère complètement validiste, psychophobe et méritocrate, entre autres. Je le fais, car cela peut également vous aider, si vous vous reconnaissez là-dedans, si vous subissez vous aussi ce genre de remarques.
En premier lieu, je vais mettre les pieds dans le plat : j’ai été Professeur des Écoles suppléante, Professeure à domicile et, actuellement, je suis aide à domicile. Dans tous les cas, il semblerait que je n’aie traumatisé et ne traumatise personne, pour quelqu’un de froid, condescendant et cassant comme moi – en sachant que je suis aussi trop sensible, il semblerait. Je suis multiple, et je tabasse mon sentiment d’être coupable d’exister.
Une personne est multi-facette, et je dirais simplement que ma sensibilité est une composante de ma neuroatypie. Je deviens « la personne méchante et manipulatrice » dès l’instant où je ne me laisse pas faire. Un grand classique.
Je ne me prétends pas meilleure ou pire qu’une autre. Je suis moi-même, et c’est déjà pas mal. C’est ce que je suis qui a fait que certaines personnes se soient ouvertes à moi, notamment dans le cadre de mon métier actuel.
Aujourd’hui, je veille à ce que mes propres limites soient respectées. Je ne peux pas sauver les gens, je suis juste là pour leur apporter ce que je peux leur apporter. Ni plus ni moins. Je ne dis pas que, parfois, je ne déborde pas. Je reste humaine. Quoi qu’il en soit, c’est respecter autrui et me respecter moi-même de ne pas aller au-delà de mon rôle. Je peux parfois être odieuse, mais ce n’est jamais sans raison.
Je l’ai longtemps fait parce que je me suis toujours suradaptée. À 35 ans, j’en paie le prix, rien n’est éternel.
Maintenant, parlons de ma propension à parler/écrire soutenu. Je ne le réserve pas qu’à certaines personnes. Je parle soutenu depuis que je sais lire… Ce niveau de langue, on le retrouve dans mes articles, celui-là y compris, et même mes romans. Tout le monde s’accorde à me le dire. J’ai aussi mes moments de langage vulgaire, bien sûr. Quand j’ai besoin d’étayer mes arguments, que ce soit via mes écrits ou lorsque je m’adresse à quelqu’un, je me tourne plus volontiers vers le langage soutenu pour essayer d’être la plus juste possible, de choisir les bons mots.
Le pendant de cette caractéristique, c’est que j’emploie parfois un mot à la place d’un autre, donne à un mot un sens qu’il n’a pas (impropriété), mélange des expressions (solécisme). J’ai compris il y a peu que c’était dû à ma neuroatypie…
En bref : pointer les défauts de quelqu’un dans sa manière de s’exprimer à l’écrit ou à l’oral, ou lui balancer à la tête qu’en gros, ce n’est pas adapté à sa classe sociale, c’est… classiste. Méritocrate. Et c’est un énorme problème. Tout comme tacler quelqu’un sur ses fautes d’orthographe plutôt que d’attaquer le fond de ses propos qui, certes, peuvent être incompréhensibles au niveau de la forme. Dans ce cas, il vaudrait mieux dire simplement « Désolæ, je n’ai pas compris ce que tu as écrit/dit parce qu’il y a trop de fautes ». J’en parle justement ici.
Le monde est bien trop complexe pour définir en un regard chaque personne. Je le répète, mais eh, il va falloir vous y faire. Beaucoup d’entre vous avez tendance à oublier que rien n’est binaire.
Même les meilleures personnes peuvent faire des erreurs, être maladroites, faire preuve de bêtise. Même celles avec des capacités intellectuelles exceptionnelles. Selon Confucius, « La vraie connaissance est de connaître l’étendue de son ignorance ».
J’ai toujours, toujours douté de tout, y compris de moi-même. Je me remets en question chaque jour, mais aujourd’hui, je le fais de manière saine, même si le regard des autres peut encore me paralyser. Je le fais pour apprendre, me déconstruire, pas parce que telle personne me perçoit selon son prisme.
Reprocher à quelqu’un ses problèmes de communication signifie beaucoup de choses et en dit long sur vous-même. Et au final, vous n’expliquez pas quel est le fond du problème. C’est une manière de tourner autour du pot. Chez moi, je peux faire preuve de maladresse lorsque je m’exprime. Je peux ne pas avoir de filtre, être impulsive. À force qu’on me le reproche, mes propos sont devenus sibyllins, alambiqués, surtout à l’écrit. Je suis devenue une cocotte-minute, silencieuse, mais le jour où ça explose… Mon travail aujourd’hui est de trouver un équilibre, et il est mis à mal face à des personnes qui, remplies de colère, de frustration, de jalousie envers moi, balancent des propos sans réfléchir, comme ces phrases citées en début d’article.
Et après, c’est moi qui ai des problèmes de communication. Je préférerais que vous soyez plus précis, plus frontal. Après, je ne peux pas l’exiger de vous. Que reste-il, alors ? Le temps. Et moi, j’avance et dépense mon énergie ailleurs, pour ce en quoi je crois.
Oh, j’en ai, je le dis et le répète. En revanche, je ne peux, comme une personne très sage me l’a dit une fois, assumer la responsabilité de ce que les autres imaginent.
Il existe des réalités sociologiques contre lesquelles nous ne pouvons nous battre.
Un exemple très simple : les employeux exploitent les salariæs. Je ne parle pas de ma manière originelle de le dire et de ce problème de nuance déjà discuté et débattu. Je parle de ce constat de base. Que veut dire « exploiter » ? Tirer parti, utiliser d’une manière avantageuse… Ne sommes-nous pas, là, sur les bases du patronat ? Ce qui en découle, entre autres, c’est une rémunération pour les salariæs : le salaire.
Un autre exemple : une certaine forme d’éducation, certaines opportunités, certains apprentissages… ne sont accessibles qu’à une catégorie de personnes privilégiées. C’est un fait, c’est vérifiable. En quoi c’est discriminant de dire que parmi ces personnes, l’une d’elles va avoir un discours hors sol face aux précaires ?
Aborder l’intelligence d’un individu, quel qu’il soit, présumer des choses selon sa propre analyse, c’est un travers. Cantonner l’intelligence à une seule facette, alors qu’il existe une multitude de formes d’intelligence, est un mécanisme conduisant à des conclusions partielles, non exploitables, incorrectes. C’est une forme de méritocratie. Il y a également une certaine forme de psychophobie dans le fait de jauger l’intelligence de quelqu’un, d’affirmer quelque chose à ce sujet. Les personnes ayant une déficience mentale, pour ne citer qu’elles, ne vous ont rien demandé. Les insulter indirectement, c’est non. D’ailleurs, en plus d’être psychophobe, je trouve ce travers dénué d’intérêt, de savoir-vivre.
Quant à « donner raison à mes détracteurices » : bannissons une bonne fois pour toutes ce genre de phrase mortifère. Il en est de même pour : « tu cherches ton mal », « c’est pour ton bien », « tu l’as mérité ». Ces phrases, vous les avez déjà entendues, subies. Elles font mal. C’est un véritable fléau, vous ne savez pas comment vous défendre face à elles. Dites-vous que, en premier lieu, jamais vous ne devez les croire. Jamais vous ne devez vous dire que « vous l’avez cherché ».
Ici, on soutient les victimes, pas les bourreaux. Alors, il est vrai que je crois à une certaine forme de retour de karma – et encore, c’est un concept complexe, qui tient de l’appropriation culturelle, donc je fais attention et ne me l’approprie pas –, mais même à mes pires ennemis, je ne souhaite pas le quart de ce que j’ai subi. Je crois plutôt en une forme de justice, au fait que nous récoltons ce que nous semons.
La perfection n’est pas de ce monde. Nul ne détient un contrôle total sur ce qu’il écrit, nul ne détient une maîtrise parfaite de la langue, moi la première.
Le monde ne tourne que sur lui-même, c’est un fait. Il ne tourne autour de personne. Cependant, à quoi rime la phrase : « Le monde ne tourne pas autour de toi » ? Elle est là pour invalider les ressentis de la personne concernée. En lui disant ces mots, vous la culpabilisez. Même face à une personnalité narcissique, cette phrase n’a aucun intérêt – puisque vous alimentez sa soif de contrôle, mais là n’est pas le sujet. Bref. Cette phrase est problématique et je pense honnêtement que vous feriez mieux de simplement dire que vous n’êtes pas capable d’aider la personne, de faire plus. Vous l’écoutez, c’est déjà bien.
Je n’ai pas besoin que le monde tourne autour de moi, je veux juste qu’on m’écoute. Je ne demande pas de conseil, juste… un peu d’attention. L’espace de quelques secondes, minutes. C’est tout. Et même si je suis dans un schéma où je me répète, où je me plains toujours des mêmes choses, eh bien, la seule phrase à m’opposer, c’est : « Je ne peux rien faire de plus ». C’est ma responsabilité après de me sortir de cette boucle – en acceptant de me faire aider et d’écouter, pour de vrai, pas d’accepter la toxicité d’autrui, même de professionnel⸱le⸱s qui sont psychophobes.
Où va donc cet article ? Il est l’ébauche d’un autre, où je vous questionne sur le fait que le validisme et la psychophobie représentent le test ultime… où tout le monde échoue. Moi y compris. Parce qu’il suffit d’un instant d’inattention pour lâcher une réflexion profondément psychophobe et/ou validiste.
Sincèrement, réfléchissons aux mots que nous employons… Nous avons – oui, je m’inclus dedans – la psychophobie facile. Cela montre le regard de la société sur toute personne différente, qui sort du cadre.
Comment changer cet état de fait ? En prendre conscience est un pas. Modifier sa manière de dire les choses est le deuxième pas. Et non, le « On ne peut plus rien dire » ne fonctionne pas. Nous devons apprendre justement à dire les choses de manière adéquate, avec les bons mots. Tout mot est pouvoir, toute chose a un nom. De grands noms de la littérature ont développé cette idée, ce trope, à travers leurs écrits.
Exemple : unæ tueux n’est pas unæ tueux parce qu’iel est fol, mais parce qu’iel a tué. Un connard n’est pas un connard parce qu’il est taré, mais parce que c’est juste un connard qui ne pense qu’avec sa bite.
Bref.
Au passage : les personnes à qui l’on souhaite de finir à la rue, sous les ponts… Sociologiquement, cela finit par leur arriver à force d’errance, de maltraitances diverses et variées.
Je vous laisse tirer vos propres conclusions.
Conclusion : si vous êtes dans un cas similaire au mien, vous n’êtes pas « bizarre », « fol », ou tout autre mot psychophobe que l’on aura cherché à vous implanter dans la tête. Vous n’êtes pas non plus « attardæ » – qui est tout aussi psychophobe. Vous êtes probablement neuroatypique, et ce n’est pas un gros mot. Je sais que c’est le parcours du combattant pour tenter de décrocher des diagnostics, pour savoir ce qu’il se passe et trouver des aides adaptées pour que vous puissiez enfin vivre et non survivre.
Pour finir (oui, c’est ma conclusion numéro 2), de toutes ces phrases écrites en début d’article, j’en tire des vérités, qui sont les suivantes :
« J’ai des problèmes de communication, mais j’ai fait un énorme travail dessus, ça va mieux. »
« Oui, je suis maladroite, et je compose avec. »
« Je m’excuse bien trop souvent, encore aujourd’hui, même si j’ai passé un cap à ce sujet – et mes proches ont remarqué ce changement. »
« C’est sûr, je m’autoflagelle encore, même si, comme pour la phrase précédente, j’ai tourné une page, et j’ai donc avancé. »
« Je suis moi et c’est déjà bien assez, surtout avec mon cerveau fragmenté. »