Le ménage impossible

[TW – y en a trop, je vous déconseille fortement de lire si vous risquez d’être triggered par tout ce qui a attrait à la maladie, la saleté, le psy, la maltraitance. Oui, la maltraitance. Je vais vous expliquer en quoi, à vomir]

La bénéficiaire dont je vais parler était sous curatelle renforcée. Retenez bien cette information. Je suis intervenue chez elle de janvier 2021 à octobre 2021. Je la surnommerai Mme B pour plus de facilités, et le « B » n’a rien à voir ni avec son nom ni avec son prénom.

Les informations qui suivront sont capitales pour la mise en contexte et pour vous démontrer également à quel point cette dame a été laissée à l’abandon. Mon discours sera celui d’une professionnelle. Il n’y a aucune psychophobie derrière ou autre. Je précise ce contexte pour des personnes qui pourraient se retrouver dans ma situation en tant qu’aide à domicile.

Mme B a des troubles cognitifs, psy (sans précisions, ce n’est pas important pour mon témoignage + secret médical quand même hein) et diverses pathologies. Elle est réfractaire à toutes les aides, sauf les petites courses et la livraison des repas (même si sa gérontologue a dû se battre pour lui faire accepter). Mme n’a plus de famille, plus personne pour s’occuper d’elle. Nous sommes dans une situation où l’on pourrait parler de syndrome de Diogène (cf. ce que je décris après), mais je ne l’affirme pas.

Elle habitait seule dans une maison pas adaptée : W.C. et chambre à l’étage ; elle montait et descendait les escaliers à quatre pattes, alors qu’elle peinait à marcher le reste du temps.

Vous avez bien lu.

Je me souviens de ma première intervention chez elle comme si c’était hier : des déchets partout, évier bouché, zéro matériel de ménage, frigo rempli à dégueuler de plats de la ville périmés.

Mon ancienne binôme et moi nous sommes battues pour faire de notre mieux, nous avons tout essayé. Seulement, nous étions un peu livrées à nous-mêmes… c’était compliqué. Oui, c’est un euphémisme.

À nos débuts chez Mme B, une infirmière a appelé ma boîte pour dire que moi et ma binôme n’avions pas fait ceci ou cela. Sauf que quand vous devez vous battre avec une personne âgée qui est réfractaire pour réussir à faire un minimum, C’EST COMPLIQUE. Moi et ma binômes avons pété un scandale toutes les deux, sans nous concerter. Laissez-nous faire notre boulot et occupez-vous du vôtre, merde. Bref.

La situation s’est dégradée de mois en mois. À chaque intervention (du moins, quand j’arrivais à les faire…), je m’épuisais. De plus, à partir de juillet, je me suis retrouvée sans binôme, et celle que j’ai eu temporairement n’est pas restée.

À la base, on ne devait s’occuper que des pièces du bas, et c’était un travail de TITAN. J’étais obligée de forcer, de faire même quand Mme B hurlait, parce qu’elle ne voulait RIEN jeter, ne voulait PAS que je nettoie. Elle m’avait même choppé les poignets une fois. J’aurais dû exercer mon droit de retrait à ce moment-là, mais j’avais la tête tellement dans le guidon que…

Y avait la moitié du logement qu’était en train de moisir, parce que bon hein, moi, je ne fais pas de miracles. Depuis juillet, on me demandait aussi de m’occuper aussi du haut. Double peine.

Il y a eu aussi l’éventualité de s’occuper de faire la toilette de Mme B. J’ai mis un énorme stop. C’était hors de mes compétences, là. Alors, je suis capable de faire une toilette, même une toilette au lit ultra complexe (bon, normalement, hein…), mais là, avec Mme B, c’était mission impossible. Je le redis encore aujourd’hui : je n’ai pas les compétences pour prendre en charge une personne avec des troubles psys aussi importants. J’ai réclamé des formations, j’attends toujours.

On devait aussi s’occuper du linge, sauf que les vêtements étaient entassés dans des sacs partout dans la maison : Mme B se changeait, reposait dans les sacs, reprenait, etc. Que vouliez-vous que l’on fasse, nous ?

« Ben pourquoi ne pas la placer alors ? »

« Pourquoi vous ne signalez pas tout ça ? »

Ah. Ah. Ah. AHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA. La bonne blague.

Vous vous posez des questions, hein. Sachez que moi, j’ai fait mon taff, j’ai signalé tout ce qu’il fallait signaler à ma chef de secteur, qui ensuite prévenait la gérontologue de Mme et… sa tutrice. ‘fin curatrice en fait. ‘fin. *rire jaune*

Je n’arrêtais pas d’alerter sur la situation de Mme B. Autant pour le matériel de ménage, OK, allez, on nous délivrait des bons UDAF et on allait chercher ce qu’il fallait avec ça, autant pour le reste… Rien. Zéro. Nada. Aucune réaction.

Pour la serrure de Mme B : vu que parfois, elle n’ouvrait pas quand on sonnait, il avait été décidé de mettre en place une serrure spéciale, pour qu’on puisse rentrer la clé dedans même si elle avait laissé la sienne. Donc avec ça, mise en place d’une boîte à clés aussi.

On est d’accord : la méthode est bof. On forçait le consentement de Mme B, mais de toute façon, depuis le début, la situation était… bref.

L’UDAF a mis en tout 5 mois pour tout faire (la mise de la boîte à clés en dernier). Pour au final ne pas arriver à rentrer quand même, parce que Mme B avait un verrou en plus ! Eh oui.

Sa tringle à rideaux qui s’était cassé la gueule depuis 4 mois ? Signalé, rien eu de fait. Il fallait tailler sa vigne, ses haies, buissons : ça faisait 3 mois qu’on signalait aussi.

Sinon, Mme B jetait ses barquettes de plats préparés dans son arrière-cour de cuisine, et pas que ça…

[TW fluides peu ragoûtants, ne lisez pas si vraiment, vous ne supportez pas, ou que vous êtes en train de manger…]

Mme B gardait des boîtes de conserve pour faire ses affaires dedans et jeter le tout dans l’arrière-cour.

En juin, il y a eu la visite de la gérontologue, qui voyait bien que moi et ma binôme arrivions au bout, que c’était de plus en plus COMPLIQUE. Elle a proposé une réunion à la maison de l’autonomie. J’y suis allée. Je me suis dit : AH, là, on va pouvoir faire quelque chose, y aura la curatrice.

Résultat des courses : la réunion a bien eu lieu en juillet… mais la curatrice n’était pas là. La gérontologue a fait un compte-rendu complet de ce que j’ai dit, de ce que l’infirmière présente en réunion a pu rapporter de la situation.

Donc la décision de placer Mme B était plus qu’évidente. mais. mais. mais. MAIS. La curatrice, fallait qu’elle valide ça.

Fin août est arrivé. Devinez quoi ?

Il n’y a rien eu de fait. En plus, la curatrice était en congés… La voisine de Mme B est venue me voir à propos de cette arrière-cour qui servait de dépotoir, parce que sa cuisine à elle donnait dessus, elle ne pouvait pas ouvrir sa fenêtre. Ouais ouais ouais.

Septembre, octobre sont arrivés. Mes interventions étaient de plus en plus difficiles, Mme B me criait dessus sans cesse, m’insultait. J’aurais dû lâcher, mais j’ai tenu bon. Étais-je complètement stupide ? J’étais surtout à bout et assez démunie. J’attendais avec espoir que la curatrice fasse quelque chose.

Ce n’est jamais arrivé.

En octobre, après m’avoir hurlé dessus, insultée comme d’habitude, Mme B m’a agrippé les poignets. J’ai appelé ma boîte, qui m’a dit d’essayer encore. En voulant vider le frigo, j’ai subi de nouveau des insultes, puis des menaces… puis Mme B m’a donné de petits coups sur les bras pour me faire arrêter.

J’ai balancé dans la cuisine ce que je tenais à ce moment-là et je suis partie. J’ai enfin fait mon droit de retrait.

Ne me jugez pas, s’il vous plaît. Je pense que j’avais à ce moment-là un syndrome de la sauveuse assez poussé, et ça a été très compliqué de me battre contre.

Ce que j’ai connu avec Mme B m’a appris de grandes leçons, qui me servent encore aujourd’hui, pour ne plus accepter l’inacceptable.

Après mon droit de retrait, une autre aide à domicile a pris le relais jusqu’en janvier 2022. Je sais, ma chef et ma boîte auraient dû dire stop, de leur côté, même si du coup, cela aurait été quand même de la maltraitance (j’explique plus loin). Ma foi, c’est pas mon dos, hein.

En janvier 2022, Mme B a eu un nouveau curateur, et lui a été réactif : il l’a fait placer en EHPAD. Enfin.

En tant qu’aide à domicile, je n’ai pas mon mot à dire, sauf pour pointer du doigt la maltraitance qu’a subi Mme B, et à laquelle j’ai malgré moi participé.

Concernant les EHPAD et le fait que ce soit cher, que dans certains, les bénéficiaires soient maltraitæs, ben…

Bref. Fallait bien faire quelque chose pour cette dame, et je ne suis pas superwoman.

Pourquoi ai-je parlé de maltraitance ? Ben quand je forçais pour faire le ménage quand Mme B voulait pas, quand je me battais pour bosser là-bas, c’était de la maltraitance.

Laisser une personne âgée dans un logement vétuste, c’était de la maltraitance.

Si on avait décidé d’interrompre toutes les interventions et de la laisser livrée à elle-même, c’était de la maltraitance.

J’espère que ce premier témoignage vous fera réfléchir.