You are currently viewing Je n’ai pas mon permis, et je le vis (presque) bien

Je n’ai pas mon permis, et je le vis (presque) bien

Vous le savez, je suis aide-à-domicile. Concilier ce métier avec l’écriture et mes autres activités, c’est une gymnastique de tous les instants, comme je l’ai expliqué dans cet article sur mes journées-types. D’un côté, il y a des personnes qui me demandent comment je fais pour tenir, surtout en faisant tout sans permis (je marche et je prends les transports en commun). Ce à quoi je réponds : je ne le sais pas moi-même. Oh, et le fait d’avoir le permis/une voiture ne change rien au fond, sauf peut-être d’avoir des frais en plus, surtout actuellement…

On loue l’indépendance que procure la voiture, encore faut-il que l’on arrête de prendre la tête aux gens (et du fric) pour le passer, ce foutu permis ! Oui, je le redis encore, et encore, et encore. Plus le temps passe, plus je m’agace quand on me dit que je devrais le passer.

Ça m’énerve de devoir me justifier, ça m’énerve de devoir expliquer que eh, je n’ai ni le temps ni l’argent ni personne pour me faire conduire hein (avec la conduite supervisée par exemple).

Au-delà de ce fait, il y a un petit, minuscule, microscopique détail que vous oubliez/ignorez : si pour vous, conduire ne vous demande aucun effort, moi… cela me bouffe toutes mes cuillères, et même au-delà. Cela me demande une énergie colossale. Vous ne vous rendez pas compte, je crois. Je passe pour une extraterrestre quand j’essaie de me confier à ce sujet, on m’oppose à chaque fois : « Oui, mais tu feras comment plus tard ? »

Eh bien, si vous arrêtiez de mettre pour seul moyen de transport accessible la voiture et le permis, cela résoudrait la question. Je parlais du validisme dans des articles précédents, je crois que là, on est en plein dedans.

D’un côté, vous partez du principe que tout le monde, absolument tout le monde est en capacité de savoir/pouvoir conduire. Ce n’est pas le cas, et ce n’est pas un problème, en fait. Vous croyez que je l’ai choisi ? Vous croyez sincèrement que j’ai choisi d’avoir d’abord la phobie de conduire, et ensuite de tout simplement ne pas avoir la capacité mentale de le faire ? Parce que oui, j’ai vaincu plus ou moins ma phobie, à force de leçons de conduite, mais il y a une chose qui n’a pas changé : cette énergie monstre à mobiliser rien que pour une malheureuse heure de conduite. Des crises d’angoisse à n’en plus finir. L’épuisement après…

D’un autre côté, vous adorez cracher sur les conducteurices qui sont des dangers publics sur la route – dont vous faites peut-être partie, ironiquement. Donc bon… L’œil, la poutre, tout ça, tout ça.

Si je devais passer le permis aujourd’hui, j’aurais besoin d’aménagements, clairement. J’aurais besoin d’apprendre, mais pas de manière conventionnelle. Si j’ai pu réussir à m’en sortir dans d’autres domaines dans la vie, même en louvoyant beaucoup, eh bien, pour la conduite, la seule solution que j’ai trouvée est d’apprendre à vivre sans.

Et je vous vois venir : j’ai besoin de personne pour mener ma vie, travailler, et ce sans permis. Alors oui, il y a certaines situations où je suis emmenée en voiture. Je ne peux être co-pilote, mais j’offre une compensation financière, en payant une partie de l’essence, ou autre chose.

Donc vraiment, lâchez-moi la grappe avec le permis. Pour moi, il m’est inaccessible sur bien des aspects, et je vous promets que si vous me ressortez l’argument du « avec un peu de volonté, on y arrive », je mords.

Si je vous dis que je n’ai pas les capacités de conduire, ce n’est pas pour me faire plaindre ni par flemme. Cela ne veut pas dire que je ne sais pas conduire – quoique, aujourd’hui, je dois avoir quasiment tout perdu des innombrables heures que j’ai passées en leçons de conduite –, mais tout simplement que là où pour vous, c’est naturel et ne vous demande rien, moi je déploie des trésors d’énergie rien que pour réussir à me concentrer pendant une heure, sans paniquer, sans réfléchir au point de faire un breakdown.

Mes moniteurices m’ont dit que j’étais trop cérébrale. Cela veut dire ce que cela veut dire : c’est mon cerveau le problème. Oh, vous pourriez me répondre que je devrais aller me faire soigner, passer des diags. Au-delà du fait qu’une telle façon de penser est un poil psychophobe quand pour vous, c’est la réponse à tout quand ça vous arrange, oui, peut-être, quand j’aurai vaincu ma phobie du monde médical, quand là où j’habite cessera d’être un désert médical, quand le domaine médical tout court ira mieux, qu’il y aura enfin du personnel bien payé, que tout ce qui touche aux soins psy sera correctement remboursé, que tout ne tournera pas autour du fait d’assommer de médicaments qui, de toute façon, m’interdiraient de prendre le volant…

Des excuses, me dites-vous ? Pardon d’être précaire et handi psy, hein.

Oui, tout est lié, et si vous me connaissez un tant soit peu, vous savez que je ne me réfugie pas derrière des excuses, mais des faits.

Enfin, on sait que la précarité, l’accessibilité, tout ça… ce sont de grands (gros ?) mots pour vous.

Je suis aussi salée que la mer morte, et je ne m’adoucirai lorsque vous reconsidérerez la question de l’accessibilité au permis, que ce soit au niveau financier, au niveau enseignement de la conduite, au niveau des autres moyens de transports mis à disposition…

Je pense qu’il va pleuvoir des grenouilles d’ici à ce que ce miracle arrive.

Cet article a 4 commentaires

  1. Maritza

    Oh que voui ! Si vrai ! ♥..♥ attends, en plus tu compenses aussi en ramenant à manger… OUI c’est très important !
    J’ai le permis, et pourtant, depuis l’accident de voiture, pourtant « pas grave » en 2019 j’ai du mal à m’y remettre. Je pense qu’en situation d’urgence, je peux le faire. C’est arrivé une fois où je devais prendre le volant pour accompagner L à l’hosto, bizarrement j’étais en mode automatique… (aucun souvenir…). Mais quand c’est sur une route inconnue, et de nuit oh godness nope. Dans les villes avec des gens counards ? Non merci je tiens à ma vie…

    1. Justine_CM

      Comme quoi, même des personnes qui conduisent peuvent aussi éprouver des difficultés et trouvent le système validiste. Et je te comprends… ♥

  2. C’est encore plus choquant lorsque tu es un homme 🙂 J’aurai cinquante ans l’année prochaine et je n’aurai toujours pas mon permis, pire encore, je suis incapable de différencier les modèles de voitures. A mes yeux, c’est un moyen un peu con de mourir, rajoutant mille et une façons idiotes d’en finir, au mieux tout seul, mais le plus souvent, en emportant d’autres personnes. Tu mentionnes les dépenses associées, et en tant que travailleur pauvre, l’idée même de faire un plein me semble aberrante, pour moi, mais je ne parviens même pas à comprendre comment font les smicards. En réalité, je considère toujours la réflexion étonnée sur le fait que je n’ai pas mon permis comme l’une des plus méprisantes, une sorte de classisme imbécile émanant de gens peu empathiques. C’est tellement bête comme réflexion, et lorsqu’on y ajoute la fameuse « liberté » offerte par le véhicule, généralement je coupe court à toute poursuite d’échanges ennuyeux. Donc plein de force à toi, intrépide piétonne!

    1. Justine_CM

      C’est vrai qu’en plus, si tu es un homme, Ô mon Dieu ! Tu ne conduis pas ? Tu n’es pas voitures ? Aaaaaaarg, vraiment…
      Je ne nie pas que savoir conduire, c’est super et tout, mais je suis sûre que si le système était mieux foutu, y aurait peut-être moyen que des gens comme moi prennent le volant…
      Force à toi aussi !

Laisser un commentaire