J’avais écrit cet article sur la bienveillance en 2016, quand j’étais encore Professeure des Écoles suppléante. Il a été remis au goût du jour, avec de petits commentaires actuels ajoutés entre parenthèses.
Autrement dit, la bienveillance. Bien entendu, j’ai cherché à comprendre à tout prix ce que ce mot voulait vraiment dire. Bien entendu, j’ai consulté ses multiples sens, définitions. Toutes ont le même point commun. Maintenant, je vous laisse vous en rendre compte par vous-mêmes en consultant un dictionnaire. C’est bon, vous y êtes ? Bien.
Je démarre d’entrée de jeu : Bienveillance et Éducation Nationale. Éducation Nationale et bienveillance.
Non, désolée, ça ne colle pas.
Je ne vois que très peu de bienveillance dans les principes de cette « Refondation de l’École ».
(Je ne parle même pas de ce qu’il en est en 2023, surtout dans le contexte actuel ! Au secours…)
En premier lieu, j’ai un gros souci avec la définition que l’EN en fait : être à l’écoute de l’élève, des parents, vivre ensemble. Il existe un véritable flou entre le fait d’être bienveillant, de se montrer bienveillant – non, non, ce n’est pas tout à fait la même démarche parce qu’ici, « être » et « se montrer » ne sont pas vraiment synonymes –, et coatcher. Ensuite, comment peut-on appliquer la bienveillance à l’école avec un système éducatif comme le nôtre ? Cela entre en conflit avec un autre objectif : chercher à amener tous les élèves jusqu’à un certain niveau « correct ». Par-dessus, on individualise comme on peut…
En tant qu’enseignante, je me sens frustrée de ne pas pouvoir passer plus de temps avec les élèves en difficulté d’un côté, puis avec ceux qui se débrouillent très, très bien. Ben oui ! La différenciation, c’est pas que dans un sens, eh ! Où est la bienveillance lorsqu’on est obligæ de léser certains élèves pour être sûr que tout le monde soit arrivé à tel niveau ? Je veux bien faire les choses « volontiers, pour le bonheur de l’autre », mais… comment pourrais-je donc m’y prendre ? J’y arriverais peut-être avec beaucoup d’élèves… et les autres ?
Changer les programmes scolaires tous les quatre matins, est-ce de la bienveillance ? Gaver les élèves de connaissances qu’iels ne réutiliseront jamais, est-ce de la bienveillance ? Ne pas leur apprendre à affronter les obstacles, à devenir autonomes, est-ce de la bienveillance ? Ne pas les préparer à l’entrée dans la vie active (apprendre à déchiffrer les factures, à écrire un CV, ce genre de choses…), ne pas leur donner les clés pour qu’iels puissent trouver leur voie… est-ce bienveillant ?
(En fait, on apprend aux élèves à devenir de futurs moutons qui ne contesteront pas. Des moutons qui ne se battront pas pour leurs droits. Voilà, les choses sont dites.)
L’enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on, et je dirais même de « bien » et de « bon cœur ». A l’ESPE – anciennement IUFM –, il y a des cours de didactique expliquant le statut de l’erreur à l’école. Pourtant, nous en avons tellement déformé les principes… Plus facile de faire éviter les erreurs à l’élève, plus facile de tout miser sur la différenciation… tout en maintenant un professeur des écoles pour enseigner toutes les matières.
Non, là-dedans, je trouve qu’il y a du chemin à faire pour parvenir à une école bienveillante. Hélas, tout a un prix. Pourquoi est-ce que je persiste à travailler dans ce milieu s’il ne me plaît pas tel qu’il est ? (Finalement, vous le savez, j’en suis partie… cf. mes articles Lettre ouverte d’une instit’ pas instit et Pourquoi je ne suis pas devenue instit’) Grande question…
J’y répondrai ainsi : peut-être que c’est parce que je sens que j’ai quelque chose à accomplir, même si je dois mettre toute une vie pour cela (et finalement, je m’y emploie via d’autres voies). Je suis bénévole pour tenter de devenir une bonne enseignante, mais pas pour approuver tout ce qui peut se faire en matière d’enseignement ! Surtout lorsque cela permet aux parents de se décharger sur les enseignants ou de leur faire porter la responsabilité de tous les échecs scolaires.
S’il y a certaines choses sur lesquelles nous avons une prise, ce n’est pas pour autant que nous pouvons nous substituer aux parents, aux psychologues et consorts. C’est ce qu’on nous demande d’être de plus en plus, dans le cadre de la bienveillance.
J’arrive à la fin de mon article. Je me pose encore cette foutue question : suis-je une mauvaise enseignante que de penser que si nous voulons appliquer la bienveillance, le système actuel ne nous le permet pas tellement ?