Le chevalier aux roses

fantastique, surnaturel

TW mort, deuil, guerre

La ville lui semblait bien trop bruyante. Celle dans laquelle il s’était attardé quelques jours plus tôt lui manquait déjà, et si une chose importante ne l’attendait pas, il s’y serait presque installé.

Ses yeux d’un brun doux scrutaient la place pavée de bleu. Des hommes et des femmes aussi miséreux que lui mendiaient ou jouaient de la guitare pour attirer d’éventuels bienfaiteurs. Lui-même s’y attelait ; personne ne lui prêtait attention malgré son accoutrement. Toutefois, il s’y était habitué. Manger, boire ou encore dormir devenait accessoire.

Arthur se releva tout en réajustant sa cape noire. D’un pas lent, il s’engouffra dans une ruelle. Son odorat avait capté un parfum suave familier. Sûr de lui, il déambula comme pour apprécier l’instant.

Enfin, il connaîtrait le but de cette quête insensée.

Depuis plus de six mois, il arpentait les villes de son pays natal à la recherche de roses blanches tout aussi singulières que leur fragrance ; leur tige était à chaque fois coupée à la base. Elles n’en perdaient pas pour autant leur beauté ni leur vitalité. Arthur les rangeait dans la besace qu’il cachait sous sa cape. Leur fraîcheur persistait, comme s’il venait de les cueillir.

Pas le temps de s’interroger ; il devait achever sa mission.

L’homme incarnait un chevalier ; et s’il n’en avait pas la carrure, il en avait l’âme, les valeurs les plus primordiales : l’honneur, la justice, la générosité, la persévérance, et la rédemption. Tout de noir vêtu malgré l’usure de ses habits, il amassait ces roses. Jamais personne ne lui en demandait la raison.

Peut-être étaient-ils tous trop absorbés par leurs pensées ou leur écran de téléphone portable pour y prendre garde.

La ruelle ne se terminait pas sur un cul-de-sac comme il l’aurait présagé. La perplexité envahit Arthur. Il emprunta le nouveau passage qui s’élargissait petit à petit. Malgré l’odeur des poubelles et des ordures laissées à l’air libre, le parfum de la dernière rose affluait vers lui. Les murmures de la circulation l’incommodaient moins. D’un immeuble proche, il pouvait entendre une musique douce.

Il n’accéléra pas le pas.

Midi n’avait pas encore sonné – Arthur parviendrait à ses fins avant. Il s’abandonna à ses songeries non sans être persuadé qu’il ne vivait pas à la bonne époque. D’ailleurs, sa quête n’avait-elle pas un rapport avec le passé ? Et s’il en était ainsi, pourquoi traquer le présent ?

Il haussa les épaules et baissa la tête.

Bientôt, une avenue se présenta à lui. Toujours aucun signe de la rose. Pourtant, sa fragrance l’envahissait.

Ses longs doigts pâles massèrent sa nuque. Il n’aimait guère se plonger dans ses souvenirs, sauf qu’en dénichant la fleur, ces derniers pouvaient se réveiller – il en était intimement convaincu.

L’avenue était plutôt animée. Arthur se glissa entre les badauds sans déclencher de protestations. Sa discrétion lui permettait-elle vraiment de devenir invisible aux yeux du monde ?

Il passa devant une école primaire. La vue des enfants dans la cour lui amena un goût d’amertume. Et s’il avait pu, eh bien… Il secoua la tête. Pourquoi y songer à présent ?

Il ne s’attarda pas et marcha vers un bâtiment situé en face, qui n’inspirait pas la joie avec son gris maussade. Il ne prêta aucune attention à la circulation et traversa la route ; son regard se posa sur la petite plaque de la grille fermant le domaine. Un orphelinat… Son cœur se tordit et parut compressé dans un étau lorsqu’il avisa les pétales délicats d’une rose à ses pieds. Avec lenteur, il se pencha et la prit au creux de sa main. Au même instant, des larmes coulèrent sur ses joues exsangues.

Plusieurs enfants et adolescents sortirent de l’entrée austère. Parmi eux, une fillette d’à peine dix ans, aux cheveux aussi noirs que ceux d’Arthur. Elle portait un pantalon et un haut usés. Ses yeux d’un bleu de porcelaine fixaient quelque chose droit devant elle. L’homme lui demanda pardon dans un sanglot honteux.

À cause de lui, elle se retrouvait dans cet endroit désolé. Sa fille, la chair de sa chair. Et s’il n’avait pas joué les héros, il ne l’aurait pas abandonnée ; et si la guerre n’avait pas existé, il ne se serait pas engagé. Il y avait laissé sa vie alors que sa femme était morte des suites de l’accouchement.

— Rosalba…

Il étouffa ses pleurs du mieux qu’il le put. Militaire fantôme à présent, il se rappelait.

— Pardonne-moi…

Il tomba à genoux devant les grilles. L’expression résignée, Rosalba détourna la tête et se rendit dans les jardins de l’orphelinat avec les autres. Les doigts d’Arthur tentèrent de s’accrocher au fer forgé, mais passèrent à travers. Son heure était venue.

En ramassant la dernière rose, il avait récupéré ses souvenirs. Sa quête s’achevait.

Peut-être qu’un jour, Rosalba l’absoudrait.